Arrêts maladie : l’Assurance maladie veut serrer la vis, les médecins font de la résistance

La tension monte entre les généralistes et la Caisse nationale d’assurance maladie. En cause : une campagne de contrôle ciblant les arrêts de travail longs, jugée intrusive et injustifiée par la profession.

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 20 juin 2025 10h59
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Arrêts maladie : l’Assurance maladie veut serrer la vis, les médecins font de la résistance - © Economie Matin
6,7%les dépenses d’indemnités journalières (IJ) ont augmenté de 6,7 % entre janvier et avril 2025

Le 19 juin 2025, l’Assurance maladie a relancé une opération visant à réduire le nombre d’arrêts maladie prescrits par certains généralistes. À l’approche d’un déficit public aggravé, cette initiative vise à contenir les dépenses d’indemnités journalières. Mais cette politique, perçue comme coercitive par les syndicats médicaux, a suscité une réaction immédiate de MG France, qui dénonce une atteinte à la qualité des soins.

Assurance maladie : une campagne ciblée pour limiter les arrêts maladie

Lancée officiellement début juin, la nouvelle campagne de “mise sous objectif” (MSO) concerne environ 500 médecins généralistes identifiés comme les plus prescripteurs d’arrêts maladie. Selon les indications de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), cette opération vise à « réduire de 20 % » le volume de jours prescrits par ces professionnels à partir du 1er septembre, avec une seconde vague dès le 1er janvier 2026, explique BFMTV.

Cette initiative s’inscrit dans un contexte budgétaire tendu : les dépenses d’indemnités journalières (IJ) ont augmenté de 6,7 % entre janvier et avril 2025, bien au-delà de la prévision de 4 % inscrite dans l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Le comité d’alerte sur les dépenses de santé estime que ce dépassement pourrait atteindre 500 millions d’euros d’ici fin 2025 détaille, Le Quotidien du Médecin.

MG France dénonce une pression injustifiée sur les médecins

La réaction ne s’est pas fait attendre. Le syndicat MG France, majoritaire chez les généralistes, a immédiatement rejeté cette politique, la qualifiant d’« ingérence dans la décision médicale ». Lors d’une conférence de presse le 19 juin, sa présidente, le Dr Agnès Giannotti, a déclaré : « Ce qui nous pose problème, c’est que cette nouvelle campagne ne vise que les arrêts longs [...] Il ne s’agit ni de fraude, ni d’abus, mais de patients qui en ont besoin », relaye BMFTV.

Le syndicat estime que cette approche conduit à des pratiques contraires à l’éthique médicale, forçant certains praticiens à « brimer leurs patients » pour se conformer aux quotas. Une précédente campagne similaire, menée en 2023-2024, avait déjà été fortement contestée.

“Opération transparence” : la riposte syndicale de MG France

Pour répondre à cette pression, MG France a lancé une “opération transparence IJ”. Présentée lors de son congrès au Havre, cette campagne vise à sensibiliser patients et médecins aux conséquences de la MSO. Des affiches et fiches explicatives ont été distribuées dans les cabinets pour dénoncer ce que le syndicat qualifie d’« épreuve humiliante » et de « piège mortel ». Le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France, a précisé : « La prescription d’arrêt de travail sert aussi à mettre certains patients à l’abri d’un risque comme un management toxique »

Une attention particulière est portée sur les arrêts liés à la santé mentale, qui représentent 20 % des consultations selon MG France. Trois millions de Français souffrent de troubles sévères. La présidente du syndicat s’interroge : « L’arrêt de travail est un des traitements au même titre que les médicaments ou la psychothérapie. Est-ce qu’on nous demande de ne pas les arrêter ? »

La fraude à l’Assurance maladie dans le collimateur du gouvernement

L’Assurance maladie justifie cette nouvelle politique par un impératif de rigueur financière. D’après son directeur général Thomas Fatôme, les IJ augmentent en moyenne de 6 % par an. En parallèle, les fraudes détectées en matière d’arrêts maladie sont passées de 8 millions d’euros en 2023 à 30 millions d’euros en 2024, selon les données officielles. La mise en place obligatoire de formulaires Cerfa sécurisés avec QR-code et hologramme dès le 1er juillet 2025 vise à enrayer ces pratiques.

Cependant, les syndicats médicaux estiment que la majorité des dépenses sont liées à des causes structurelles : vieillissement de la population active, retards d’accès aux soins spécialisés, épuisement professionnel. MG France conteste l’argument budgétaire : « Baisser de 20 % ses prescriptions d’arrêt maladie, quand on a une pratique normale, ça veut dire priver 20 % des gens d’un arrêt justifié », détaille le syndicat relayé par Le Quotidien du Médecin.

Une campagne géographiquement déséquilibrée ?

Autre point de tension : les zones visées. MG France révèle que près d’un tiers des contrôles sont concentrés sur cinq départements : Nord, Isère, Réunion, Bouches-du-Rhône et Seine-Saint-Denis. Ces territoires, marqués par une grande précarité sociale, concentreraient plus de 30 % des MSO, alors que d’autres départements comparables sont à peine concernés. « Le but est de mettre la pression psychologique sur les médecins pour faire baisser leurs prescriptions », déplore le Dr Nogrette.

Le conflit entre l’Assurance maladie et les généralistes est loin d’être clos. Tandis que les autorités invoquent la nécessité de contenir les dépenses publiques, les médecins réclament le respect de leur autonomie. Si la mise sous objectif devient un outil standard de pilotage, elle pourrait durablement affecter la relation entre patient et médecin, au risque d’amoindrir l’efficacité même du système de santé.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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