En Antarctique, tout semble figé : la glace, le silence, le temps. Pourtant, derrière le calme polaire, une activité biologique singulière pourrait bien peser dans la balance climatique. Et si les solutions les plus inattendues ne venaient pas des laboratoires, mais des fientes d’oiseaux marins ?
Antarctique : comment les crottes de manchots rafraîchissent la planète
Le 22 mai 2025, une étude publiée dans Communications Earth & Environment a mis en lumière un phénomène étonnant qui secoue la communauté scientifique : les excréments de manchots Adélie joueraient un rôle régulateur dans le climat de l’Antarctique. Cette découverte, en apparence farfelue, s’avère d’un sérieux rigoureux. À l’heure où l’Antarctique subit une accélération dramatique du réchauffement climatique, le guano de ces oiseaux emblématiques attire enfin l’attention... pour de bonnes raisons.
Des fientes en guise de barrière climatique
Les colonies de manchots Adélie — notamment celle de 60 000 individus étudiée près de la base Marambio — ne se contentent pas de prospérer dans le froid extrême. Leurs déjections, riches en ammoniac, dégagent un gaz qui, une fois dans l’atmosphère, interagit avec l’acide sulfurique produit par le phytoplancton. Cette réaction chimique génère des aérosols, minuscules particules qui agissent comme noyaux de condensation pour la vapeur d’eau.
Résultat ? Des nuages se forment, agissant comme une couverture naturelle qui limite l’échauffement des surfaces exposées. Selon le chercheur Matthew Boyer, « l’acide sulfurique peut former des particules sans ammoniac, mais quand vous en avez, cela se produit 1 000 fois plus vite ».
Une synergie climat-biodiversité insoupçonnée
Ce mécanisme atmosphérique, longtemps ignoré, témoigne d’une synergie rare entre faune et climat. Il ne s’agit pas d’une simple coïncidence biologique, mais d’un effet mesurable et localisé. L’étude menée par l’Université d’Helsinki a montré que la concentration d’ammoniac dans l’air atteignait jusqu’à 13,5 parties par milliard — soit mille fois la norme — lorsque le vent provenait de la colonie de manchots.
Même après la migration des oiseaux, les concentrations restaient anormalement élevées, preuve que le guano continue d’émettre du gaz. « Le déclin des populations de manchots pourrait entraîner une contre-réaction positive sur le réchauffement climatique », alertent les auteurs.
Comment les fientes de manchots fabriquent des nuages : le ballet des aérosols antarctiques
Le mystère réside dans une équation atmosphérique que personne n’avait sérieusement envisagée jusqu’ici. Ce qui confère aux déjections de manchots ce pouvoir inattendu, c’est l’ammoniac — un gaz azoté volatil, fortement émis par leur guano. Une fois relâché dans l’air, cet ammoniac rencontre l’acide sulfurique, issu des émissions naturelles du phytoplancton marin. Ensemble, ces deux composants forment des aérosols secondaires, ces minuscules particules qui flottent en suspension dans l’atmosphère.
Ces aérosols n’ont rien d’inoffensif : ils sont les pierres angulaires d’un processus météorologique fondamental. Ils servent de noyaux de condensation autour desquels s’agglutinent les molécules de vapeur d’eau. En d’autres termes, ils transforment l’humidité en nuages. Et ces nuages, comme un couvercle blanc posé sur la glace, réfléchissent une partie du rayonnement solaire, réduisant ainsi la température au sol — c’est ce qu’on appelle l’effet albédo.
Ce mécanisme, déjà observé en laboratoire, a désormais une confirmation en conditions naturelles. « La quantification du phénomène et l’observation de son influence dans l’Antarctique n’avaient jamais été réalisées », souligne Matthew Boyer. La nouveauté ne réside donc pas dans la chimie, mais dans l’ampleur du phénomène constaté sur le terrain, et dans le rôle crucial qu’y joue une espèce aussi banale — et odorante — que le manchot Adélie.
Vers une revalorisation du guano antarctique
Jusqu’ici cantonné aux terres fertiles d’Amérique du Sud, le guano est désormais reconnu pour ses vertus au sein même du continent blanc. Cette redécouverte impose de repenser la conservation des espèces non plus uniquement sous l’angle éthique, mais aussi comme levier climatique. « Il s’agit d’une synergie entre les manchots et les océans », souligne Matthew Boyer.
Les chercheurs insistent sur la nécessité d’étendre les mesures et d’observer ce phénomène dans d'autres régions pour confirmer son efficacité à grande échelle. Le climat de l’Antarctique, loin d’être isolé, a une répercussion directe sur l’ensemble du globe, comme le rappelle l’étude : protéger les manchots, c’est peut-être aussi ralentir l'emballement planétaire.
De la fiente comme rempart climatique : voilà une leçon d’humilité adressée par la nature aux ingénieurs du GIEC. Dans la glace de l’Antarctique, un cycle invisible lie la biodiversité et l’atmosphère, révélant combien les chaînes du vivant tissent des équilibres plus complexes et précieux qu’il n’y paraît. Reste à savoir si les politiques climatiques sauront accorder à ces petits oiseaux le rôle de grands alliés qu’ils méritent.