Le 21 juillet 2025, un front inédit s’est constitué à Berlin : 61 entreprises parmi les plus puissantes du pays ont promis d’investir plus de 100 milliards d’euros dans l’économie allemande. Sous la bannière « Made for Germany », ce pacte industriel prétend redonner de l’élan à une économie essoufflée. Derrière les grandes annonces se cache une mécanique complexe mêlant leviers publics, stratégie politique et pression sur Bruxelles.
L’Allemagne se relance avec un plan industriel massif
100 milliards d’euros : un signal ou un pansement géant ?
Les chiffres claquent comme des slogans électoraux. Siemens, SAP, Volkswagen, BMW, Bayer… Tous les géants de l’industrie allemande annoncent leur ralliement à un plan d’investissement national dont le montant flirte avec les 100 milliards d’euros. Mais attention au mirage : ce chiffre ne représente qu’une fraction des 631 milliards d’euros globalement engagés par ces groupes à horizon 2028, comme l’a confirmé Reuters le 21 juillet 2025.
Cette manœuvre coordonnée, baptisée « Made for Germany », bénéficie d’un parrainage politique appuyé. Elle vise officiellement à « renforcer la confiance dans le site industriel allemand ». Le gouvernement fédéral, par la voix de Lars Klingbeil, ministre des Finances, applaudit une démarche censée dynamiser la recherche, la décarbonation et la réindustrialisation. Mais à y regarder de plus près, les fonds sont en grande partie adossés à des incitations publiques, des subventions et même à une législation taillée sur mesure.
Des entreprises à la manœuvre… sous oxygène fiscal
Comment financer un tel déluge d’euros ? Par le truchement d’un fonds spécial (Sondervermögen) mis en place par Berlin. Doté de 500 milliards d’euros sur 12 ans, ce dispositif colmatera des brèches dans les infrastructures, dopera l’innovation verte, et appuiera des projets locaux. Au sein de ce fonds, une partie est spécifiquement réservée aux Länder et aux communes.
Ce filet de sécurité budgétaire est d’autant plus nécessaire que les recettes fiscales, bien qu’en hausse, reposent sur des bases fragiles. Les recettes combinées du Bund et des Länder ont certes atteint 447,6 milliards d’euros sur les six premiers mois de 2025, mais cette embellie repose en partie sur des revenus exceptionnels et non reproductibles. Pire : l’impôt sur les sociétés, thermomètre de la santé industrielle, recule. Cela n’empêche pas les géants allemands de réclamer des contreparties fiscales pour « sécuriser leurs investissements ».
Qui paiera vraiment ? L’Europe ou le contribuable allemand ?
La grande hypocrisie du plan se joue ailleurs. Derrière l’euphorie industrielle, l’Allemagne s’apprête à voir sa contribution au budget de l’Union européenne bondir à 64,3 milliards d’euros par an, révèle Die Welt. Sur la période 2028-2034, cela représenterait 450 milliards d’euros en engagements bruts… pour à peine 100 milliards d’euros de retours. Le rabais allemand, vestige du compromis de Fontainebleau, pourrait disparaître.
Ainsi, pendant que Berlin arrose ses entreprises avec des fonds publics, elle milite à Bruxelles contre une hausse de la contribution ou contre les nouveaux prélèvements européens. Cette contradiction n’échappe pas aux Länder : certains redoutent une double peine pour les finances locales et une centralisation excessive, dénoncée dans plusieurs tribunes.
Et le rail dans tout ça ? 100 milliards d’euros… encore
On finirait presque par s’y perdre. Un autre plan d’investissement de 100 milliards d’euros a été dévoilé début juillet 2025, dédié cette fois à la modernisation du réseau ferroviaire allemand d’ici 2029. Ces fonds seront affectés à la rénovation des infrastructures vieillissantes, à l’élimination des goulots d’étranglement logistiques et à l’électrification des lignes secondaires.
En coulisse, les entreprises se frottent les mains : le chantier, intégralement financé par le Bund, représente un appel d’air colossal pour le BTP, les équipementiers ferroviaires et les sous-traitants. Deutsche Bahn en est le principal bénéficiaire. Mais rien ne garantit que les délais ou les budgets seront tenus. Et une question persiste : pourquoi a-t-on attendu vingt ans pour combler des retards connus de tous ?
Le spectre du déficit plane toujours
Cet activisme étatique ne masque pas l’ombre d’un gouffre budgétaire. Le quotidien FAZ a révélé le 15 juillet 2025 que le projet de budget 2025 affiche un déficit estimé à 100 milliards d’euros. Une ligne de faille inquiétante, aggravée par une inflation persistante et une croissance poussive. Le ministre Klingbeil, en mal de marges de manœuvre, jongle entre des engagements sociaux et industriels. Et les investisseurs, eux, attendent des garanties, pas des promesses.