En France, une réforme censée simplifier les démarches d’accès aux aides sociales vient de franchir un cap décisif. Mais à l’heure des bilans, un constat s’impose : l’automatisation ne garantit ni la clarté, ni la confiance.
Allocation de solidarité à la source : une réforme qui exclut les plus fragiles

Depuis le 1ᵉʳ mars 2025, l’allocation de solidarité à la source est entrée en vigueur à l’échelle nationale. Cette réforme vise à faciliter l’accès au Revenu de Solidarité Active (RSA) et à la prime d’activité via un système de déclarations automatisées des ressources. L’objectif ? Lutter contre le non-recours aux aides sociales. Mais selon une enquête menée en mai 2025 auprès de 15 000 personnes par Mes Allocs, les effets de cette réforme sont loin d’être unanimes.
Pré-remplissage des ressources : une réforme pour les allocations qui reste méconnue
L’ambition du gouvernement était simple : « remplir les déclarations à la place des usagers », en s’appuyant sur le montant net social fourni par les employeurs. Ainsi, les bénéficiaires du RSA et de la prime d’activité n’ont plus qu’à vérifier ou corriger leurs données sur le site de la CAF. Fini le casse-tête des bulletins de paie et des relevés mensuels.
Mais cette promesse de simplicité ne convainc pas tout le monde. Selon l’enquête Mes Allocs, 30 % des bénéficiaires du RSA et 23 % de ceux de la prime d’activité ne connaissent même pas l’existence de la réforme. Et parmi les personnes seulement éligibles – donc hors du système – le taux d’ignorance dépasse les 67 %. Une réforme qui prétend combattre le non-recours, mais que personne ne connaît ?
Côté efficacité, les chiffres révèlent une réalité plus nuancée. 61 % des bénéficiaires saluent un gain de temps, quand 29 % estiment commettre moins d’erreurs. Pourtant, 6 % déclarent avoir perçu trop d’aides par erreur… et donc devoir les rembourser. Le progrès, oui, mais pas sans son cortège de bugs.
Allocations : le pré-remplissage échoue… trois fois sur quatre
La promesse d’un système plus fiable s’effrite dès que l’on s’attarde sur les détails. Le pré-remplissage repose sur une logique technocratique : reprendre les données des employeurs, appliquer un décalage temporel (mois M-2 à M-4) et produire une déclaration toute faite. Mais la machine ne pense pas à tout.
75 % des bénéficiaires du RSA et 70 % de ceux de la prime d’activité ont dû corriger eux-mêmes leur déclaration. En cause ? Des montants erronés (dans 3 cas sur 4), ou des ressources manquantes. C’est le cas de M. Briand, vendeur à domicile indépendant dite dans l’enquête : « Je dois les corriger, ce qui a déjà bloqué mon dossier et réduit mes aides. En mai, par exemple, je n’ai touché que 519 euros, au lieu des 850 à 1 000 euros d’habitude. »
Autre témoignage, celui de C. Voisin, travailleuse indépendante : « Le site a buggué et mon statut d’indépendante a disparu, ce qui a engendré un trop-perçu à rembourser. » Même les salariés ne sont pas épargnés : C. Beddiar, auxiliaire de vie, déplore que les montants soient décalés sur les mauvais mois, l’obligeant à corriger systématiquement les données. Un progrès qui repose… sur un surcroît de vigilance.
Lutte contre le non-recours aux allocations : la réforme ne suffit pas à vaincre le doute
Le cœur de la réforme bat au rythme d’un espoir : encourager celles et ceux qui n’osent pas faire la demande à franchir le pas. Résultat ? Mitigé. Seulement 31 % des éligibles au RSA et 39 % des éligibles à la prime d’activité affirment que cette réforme pourrait les inciter à déposer un dossier.
Et que dire des 59 % (RSA) et 46 % (prime d’activité) qui ne savent toujours pas si le pré-remplissage pourrait faire la différence ? Ce scepticisme illustre une vérité brutale : le frein à l’accès aux droits n’est pas (seulement) administratif. Il est aussi psychologique, culturel, social. La honte de demander, le manque de confiance, l’opacité des règles persistent, même derrière une interface soignée.
Un répondant sur dix estime que la réforme ne change strictement rien à sa motivation. Chez les éligibles à la prime d’activité, ils sont 15 % à considérer que l'automatisation n’est pas un levier suffisant pour les convaincre.
La fracture numérique frappe de plein fouet les allocataires
Derrière les chiffres et les interfaces, une inégalité silencieuse se creuse. Le système profite surtout à celles et ceux déjà à l’aise avec le numérique, qui savent vérifier, corriger, contester. Mais quid des autres ? Le sondage de Mes Allocs souligne un biais majeur : « Les répondants sont davantage digitalisés que la population moyenne éligible aux allocations. » Autrement dit, les plus précaires ont été exclus de l’enquête, et probablement de la réforme.
Et pendant ce temps, l’administration persiste. Selon le site solidarites.gouv.fr, « le pré-remplissage permettra de verser le juste droit, facteur de sécurisation financière et de réduction de la fraude. » Mais qui contrôle le contrôleur ? Car à chaque erreur, c’est l’allocataire qui doit prouver sa bonne foi, fournir un justificatif, et espérer ne pas être rattrapé par un contrôle postérieur.