Façades fermées, vitrines abandonnées, rideaux baissés… Les cœurs urbains français peinent à battre. Alors que certains centres-villes s’étiolent dans une indifférence presque résignée, des acteurs publics et privés tentent d’enrayer cette hémorragie de fermeture de commerces. Reste à savoir si le sursaut sera à la hauteur de la désertion.
Commerces en fuite : les centres-villes désertés peuvent-ils renaître ?

Depuis le 25 mai 2025, le débat autour des commerces désertant les centres-villes agite élus, urbanistes et citoyens. Loin d’un phénomène passager, il s’agit d’une véritable lame de fond économique et sociétale. Pourquoi ces départs ? Vers quelles zones se dirigent les enseignes ? Et surtout, quelles stratégies permettent encore de redynamiser ces espaces en voie de marginalisation ? Autopsie d’un bouleversement urbain français.
La lente érosion des commerces de proximité dans les centres-villes
On ne compte plus les vitrines poussiéreuses ni les panneaux « À louer » placardés sur les devantures. En 2024, selon la Fédération Procos, le taux moyen de vacance commerciale en centre-ville atteignait 10,6 %, contre 7,2 % en 2012. Certaines communes, comme Forbach (25,8 %) ou Châtellerault (22,9 %), flirtent avec l’implosion économique.
Pourquoi cette désertion ? L’explication tient en un mot : déportation. Depuis les années 1980, les politiques d’aménagement ont sciemment favorisé les zones commerciales périphériques, entraînant une migration des flux de consommateurs. Résultat : les grandes surfaces captent 72 % des dépenses en magasin, pour un chiffre d’affaires annuel de 300 milliards d’euros.
L’explosion du commerce en ligne n’a fait qu’aggraver la tendance. En 2023, 39,4 millions de Français ont acheté sur Internet. Et pour chaque emploi créé chez Amazon, ce sont 2,2 emplois détruits dans les commerces de proximité, selon François Piquemal, député insoumis de Haute-Garonne, sur Actu.fr (25 mai 2025).
Où vont les enseignes qui désertent ?
Les commerces quittent les centres-villes pour se concentrer dans trois types d’espaces : les galeries commerciales en périphérie, les zones de passage (ronds-points, axes routiers) et les hubs numériques.
Comme le résume David Lestoux, sociologue et urbaniste, sur Actu.fr : « On a installé le commerce là où les gens passent, moins là où les gens vivent ». Ces lieux offrent une visibilité optimale, un accès facilité et des loyers souvent plus compétitifs. À cela s’ajoute l’attrait pour des formats hybrides comme Marie Blachère, La Mie Câline ou Grand Frais, qui prospèrent à l’écart des centres urbains.
La crise sanitaire a achevé de bouleverser les comportements : boom du click & collect, du drive, de la livraison à domicile. L’essor de la seconde main, passée de 1 % à 6 % des dépenses en cinq ans, participe aussi à ce transfert de clientèle.
Des solutions pour redynamiser : illusions ou véritables leviers ?
Face à ce constat glaçant, plusieurs pistes ont émergé pour éviter la fermeture des commerces de proximité. La plus emblématique reste le programme Action Cœur de Ville (ACV). Lancé en 2018 et prolongé jusqu’en 2026, il a mobilisé 5 milliards d’euros, puis une enveloppe équivalente pour soutenir 234 villes moyennes.
À Calais, le taux de vacance est ainsi passé de 21,7 % en 2018 à 14 % en 2022. À Vierzon, il chute de 28,8 % à 22,2 %. Ces chiffres, bien que encourageants, restent en deçà des enjeux.
Autre axe : le programme “1 000 cafés”, destiné aux villages de moins de 3 500 habitants. Depuis 2019, il a permis d’ouvrir 130 établissements dans des communes dépourvues de lien social.
Mais ces efforts sont insuffisants face à l'inertie réglementaire. François Piquemal plaide pour une régulation stricte de l’expansion des grandes surfaces et une taxation accrue des géants de l’e-commerce. Pour lui, il s’agit d’un combat de survie : « C’est de la concurrence déloyale. » (Actu.fr, 25 mai 2025).
Penser l’écosystème urbain au-delà du commerce
Redynamiser un centre-ville ne peut se limiter à rouvrir quelques commerces. Il s’agit de repenser l’habitat, de ramener des services publics, d’implanter des emplois tertiaires dans les zones centrales.
« Le commerce ne fonctionne pas en silo. C’est un tout qu’il faut reconstruire », explique Nathalie Lemarchand, enseignante-chercheuse à l’Université Paris 8, toujours dans Actu.fr. L’aménagement de l’espace public, l’animation culturelle, la présence d’établissements scolaires et de transport doux sont autant de leviers déterminants.
À Pau, la commerçante Sylvie Gibergues rappelle que la piétonnisation sans parkings relais, c’est l’asphyxie garantie : « Et nos clients, comment font-ils pour venir ? » (RCF, 19 avril 2024).