Derrière les discussions feutrées de Bruxelles se trame une décision aux effets tectoniques. Tandis que certains États membres traînent des pieds, la Commission européenne s’apprête à lancer une manœuvre décisive contre les dernières artères énergétiques de la Russie. La fin d’un chapitre vieux de plusieurs décennies, et le début d’un bras de fer juridique, économique et géopolitique.
Importations de gaz russe : l’UE vise l’interdiction totale en 2027

Le 6 mai 2025, la Commission européenne a officiellement présenté une proposition visant à interdire toutes les importations de gaz russe d’ici la fin de l’année 2027. Une échéance serrée, politiquement périlleuse, mais que Bruxelles juge nécessaire pour en finir avec la dépendance stratégique au gaz en provenance de Russie. Cette annonce s’inscrit dans une série de mesures graduelles enclenchées depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022, qui ont déjà considérablement réduit les flux énergétiques russo-européens.
Gaz russe : l’Union européenne veut couper les derniers tuyaux
Si l’Union européenne a déjà interdit près de 90 % des importations de pétrole russe, le gaz naturel reste la dernière faille structurelle dans l’édifice énergétique européen. En 2021, la Russie représentait environ 45 % des importations gazières de l’Union. En 2025, cette part est tombée à 18 %, mais continue d'alimenter des pays comme la Hongrie, l'Autriche ou encore la Slovaquie via TurkStream ou les livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL).
La nouvelle proposition vise à interdire les contrats à long terme avec des fournisseurs russes, en particulier Gazprom, d’ici à la fin de 2027. Elle ambitionne également d’interdire les achats sur les marchés spots. Selon les informations de Bloomberg et Reuters, cette clause pourrait inclure un moratoire sur tout nouvel engagement contractuel, y compris les contrats dits "take-or-pay", qui obligent les acheteurs à payer même sans livraison.
Interdiction du gaz de Russie : une interdiction symbolique ou un choc juridique pour l’Union européenne ?
Le chemin juridique est semé d’embûches. Le site OilPrice rappelle que l’Union dispose de leviers limités pour annuler unilatéralement des contrats commerciaux existants. Les États membres pourraient donc devoir activer des clauses de force majeure, risquant d’ouvrir une série de procédures d’arbitrage internationales. « La Commission européenne ne peut pas invalider des contrats existants sans l'accord explicite des États membres ou sans exposer l'UE à d’importantes pénalités financières », avertissent les analystes.
Plusieurs États, notamment la Hongrie, s’opposent frontalement à toute mesure coercitive. Le gouvernement de Viktor Orbán, toujours alimenté en gaz russe via TurkStream, entretient des liens énergétiques étroits avec Moscou. La Commission devra donc compter sur des dérogations ciblées et une diplomatie millimétrée pour obtenir l’unanimité indispensable.
Bruxelles continue sa lutte économique contre la Russie
Pour Bruxelles, le gaz n’est qu’un maillon de plus dans une chaîne de sanctions visant à tarir les flux financiers alimentant la machine de guerre russe. Dès juin 2022, l’UE avait déjà adopté un embargo sur le pétrole brut russe transporté par voie maritime, puis élargi à la majorité des produits pétroliers raffinés. Résultat : près de 90 % des importations pétrolières russes sont aujourd’hui interdites, selon les chiffres du Conseil de l’UE.
L’Union européenne, en coordination avec le G7, a également mis en place un plafonnement du prix du pétrole brut russe à 60 dollars par baril. Comme l’a déclaré David O’Sullivan, envoyé spécial européen pour les sanctions, dans un communiqué : « Nous estimons que l'État russe a probablement 400 milliards d'euros de moins à dépenser. [...] Aujourd’hui, il accuse un déficit de 2 à 3 %. [...] Il n'y a pas d'investissement dans la protection sociale, l'éducation, la santé, la recherche. »
Ce déséquilibre budgétaire mine progressivement la capacité industrielle russe, notamment dans les secteurs militaire, automobile et aérien, fortement dépendants des technologies occidentales.
La fin de la dépendance énergétique européenne à la Russie ?
À travers cette nouvelle initiative sur le gaz, l’Union européenne poursuit son objectif stratégique de souveraineté énergétique. Selon le site officiel Consilium.europa.eu, les importations totales de biens russes ont chuté de 91,2 milliards d’euros, tandis que les exportations européennes vers la Russie ont reculé de 48 milliards d’euros.
Parallèlement, l’UE cherche à conclure des partenariats durables avec des fournisseurs alternatifs comme le Qatar, le Canada ou les États-Unis. Des infrastructures de GNL ont été accélérées dans des pays comme l’Allemagne ou la Pologne, et les projets d’interconnexion se multiplient pour renforcer l’autonomie énergétique du continent.
Mais tout cela a un coût. Et un risque : remplacer une dépendance par une autre, tout en exposant l’Europe aux aléas des marchés mondiaux. Le débat n’est donc pas clos. Loin s’en faut.
Une Union européenne fracturée mais déterminée
Si la proposition est techniquement ambitieuse, elle demeure politiquement fragile. L’unanimité des 27 États membres est requise. Certains, comme la Lituanie ou les Pays-Bas, soutiennent pleinement la mesure. D’autres, comme la Hongrie ou l’Autriche, brandissent la carte du veto.
Bruxelles tente de conjuguer pression morale, diplomatie de couloir et incitations économiques. La crédibilité de l’Union est en jeu : soit elle achève sa déconnexion énergétique de la Russie, soit elle révèle l’étendue de ses divisions internes.
La Russie ne sera pas privée de revenus énergétiques du jour au lendemain. Mais chaque nouveau train de sanctions, chaque rupture de contrat, chaque interdiction contractuelle réduit sa capacité à financer sa guerre contre l’Ukraine. L’Europe, elle, avance sur un fil, entre rigueur budgétaire, solidarité énergétique et jeu d’équilibre politique. La vraie question n’est donc pas de savoir si l’Union européenne peut tourner la page du gaz russe. Elle est de savoir quand, comment… et surtout à quel prix.