La justice vient enfin de trancher. Trois ex-dirigeants d’Ubisoft ont été condamnés à des peines de prison avec sursis. Ce jugement, rendu le 2 juillet 2025 par le tribunal de Bobigny, pourrait bien faire date. Derrière les murs de l’un des fleurons du jeu vidéo français, c’est une culture de l’impunité qui vacille.
Trois anciens cadres d’Ubisoft condamnés pour harcèlement par le tribunal de Bobigny

Un procès emblématique d'Ubisoft qui bouscule la jurisprudence
Le 2 juillet 2025, la quinzième chambre correctionnelle du tribunal de Bobigny a livré un verdict retentissant. Trois anciens cadres d’Ubisoft ont été reconnus coupables de harcèlement moral et sexuel, certains également de tentative d’agression sexuelle. Une première en France à cette échelle dans l’industrie vidéoludique, et un signal fort envoyé au monde de l’entreprise. Le plus sévèrement sanctionné, Thomas François, ex-vice-président du service éditorial, écope de trois ans de prison avec sursis et 30 000 euros d’amende.
Son comportement, qualifié par les magistrates de « harcèlement particulièrement violent, intense, systémique, inscrit dans le temps, avec une multiplicité de victimes », dans des propos partagés par Le Monde, illustre la gravité des faits. Guillaume Patrux, ancien directeur créatif, et Serge Hascoët, ex-numéro deux du groupe, sont respectivement condamnés à un an et dix-huit mois de prison avec sursis, assortis d’amendes de 10 000 euros et 45 000 euros.
Ubisoft : les trois anciens cadres accusés de harcèlement sexuel et moral ont été condamnés, ce mercredi, à des peines allant jusqu'à trois ans de prison avec sursis
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— L'Humanité (@humanite_fr) July 2, 2025
Le harcèlement sexuel environnemental reconnu comme un délit
La portée de ce jugement dépasse le cas Ubisoft. Pour la première fois, le harcèlement sexuel environnemental est reconnu comme un délit à part entière. Me Maude Beckers, avocate de plusieurs parties civiles, citée par le quotidien, a salué cette reconnaissance historique : « Pour les avocats des parties civiles, le tribunal, en reconnaissant le harcèlement sexuel environnemental en entreprise, estime que laisser s’installer un tel climat peut désormais constituer un délit ».
L'absence d’intervention face à un environnement sexiste et violent devient juridiquement condamnable. Cette décision pourrait ainsi s’ériger en jurisprudence et faire tomber bien d’autres bastions où le management se cache derrière la culture d’entreprise.
L’« ambiance fun d’Ubi », un paravent pour l’humiliation
Durant l’audience, les trois hommes ont adopté une posture défensive. Tour à tour, ils ont évoqué une prétendue légèreté au sein de l’entreprise, invoquant « l’ambiance fun d’Ubi ». Argument balayé par les juges. Car derrière ce vernis décontracté, les témoignages évoquent des brimades constantes, des injures sexistes, des comportements déplacés érigés en rituel. Une salariée a dénoncé un climat où elle fut qualifiée de « morue », une autre victime a rapporté un bizutage consistant à subir un « chat-bite », et une troisième s’est vu imposer un baiser contre son gré. L’un des prévenus a justifié son comportement par un prétendu humour potache. Le tribunal, lui, a vu un système de domination et de silences complices.
La plainte initiale, déposée en juillet 2021 par le syndicat Solidaires Informatique et six salariées, a mis à jour un système de gestion toxique, encouragé par l’inertie des ressources humaines et la complaisance de la hiérarchie. L’affaire Ubisoft rappelle celle de France Télécom, autre cas emblématique de responsabilité managériale systémique. Cette décision, en consacrant la responsabilité de dirigeants pour l’ambiance qu’ils tolèrent ou cultivent, marque une rupture. Elle ouvre la voie à une interprétation plus large de la responsabilité pénale des cadres, en cas d’inaction face à un climat dégradé.