Derrière les apparences de la location de bateaux entre particuliers, l’État dénonce une prolifération de pratiques illégales. Et les sanctions peuvent chavirer bien plus que le portefeuille.
L’État renforce les contrôles face aux faux skippers
Depuis plusieurs étés, la location de bateaux entre particuliers a le vent en poupe. Mais ce 21 juillet 2025, la préfecture maritime du Finistère lance l’alerte : des dizaines d’individus se présentent comme skippers sans posséder les qualifications nécessaires. Le phénomène, en plein essor sur les plateformes spécialisées comme Click & Boat ou Le Bon Coin, inquiète les autorités qui y voient une atteinte directe à la réglementation et à la sécurité des passagers.
Des locations de bateaux hors-la-loi : un exercice irrégulier très répandu
Dans les ports de plaisance, certains propriétaires se font passer pour des skippers chevronnés. Ils proposent de piloter leur bateau contre rémunération, bien que non titulaires du Brevet de Capitaine 200, diplôme obligatoire pour tout transport de passagers en mer dans un cadre lucratif. Ce document délivré par les Affaires maritimes garantit une formation complète et une aptitude validée à la navigation professionnelle.
Selon les services de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), ces pratiques relèvent d’un exercice irrégulier de l’activité de commandant de navire, ce qui constitue une infraction pénale passible de trois ans de prison et jusqu’à 45 000 euros d’amende. Le parquet de Saint-Malo, en 2024, avait déjà instruit plusieurs dossiers pour travail dissimulé, certains débouchant sur des condamnations à des amendes allant de 500 à 2 500 euros.
Mais pour les autorités, la menace dépasse la simple entorse administrative. L’État rappelle que « la profession de marin et l’activité commerciale de transport de passagers en mer sont strictement encadrées […] afin d’assurer la sécurité des personnes embarquées », rapporte 20 Minutes.
Flou réglementaire et contournements : le boom de la “co-navigation”
Derrière l’essor de cette pratique, une faille : la “co-navigation”. Inspiré du covoiturage, ce dispositif permet à un particulier d’accueillir à bord d’autres passagers en partageant les frais (carburant, avitaillement). Une difficulté : beaucoup y voient un déguisement légal pour des activités commerciales non déclarées. Les plateformes s’en défendent, insistant sur un strict encadrement et sur la non-rémunération du skipper.
Or, selon une responsable de la DDTM bretonne citée par 20 Minutes, « c’est de l’hypocrisie […] Il y a un calendrier pour réserver, des tarifs selon la saison. Ce n’est pas ça, la co-navigation ». En clair : dès lors que le prix inclut un service, on sort du cadre de l'entraide et on entre dans l’illégalité.
Ce flou est exploité par de nombreux propriétaires. Quentin, loueur occasionnel dans le Finistère, témoigne : « La première fois, je l’ai fait comme ça, sans rien déclarer ». Puis il a passé le Brevet d’Aptitude à la Conduite de Petits Navires (BACPN), accessible après un mois et demi de formation, mais limité à 12 passagers dans un rayon de 6 milles nautiques. Pour aller plus loin, le Capitaine 200 reste indispensable.
Un secteur sous pression : sécurité, concurrence, responsabilité
Les professionnels du nautisme dénoncent une concurrence déloyale. Emmanuel, skipper diplômé et loueur à Lesconil, constate : « Le problème, c’est que les gens ne sont pas formés […] et que parfois, il y a des épaves qui sont louées ». Il déplore une réalité économique brutale : pour rentabiliser un bateau utilisé trois mois par an, certains s’improvisent commandants à la sauvette.
Arthur, jeune skipper basé dans le Var, reconnaît avoir lui aussi proposé ses services via des plateformes. Il justifie sa pratique par une volonté de “surveiller ses bateaux” et évoque un tarif entre 150 et 250 euros selon la taille du navire. Il qualifie même le permis bateau classique de “ridicule”, affirmant qu’il « ne prépare à rien ».
Sanctions pénales et contrôles renforcés : l’État sort la carte dure
Face à ces dérives, l’État affirme sa volonté de reprendre la barre. À l’été 2025, les services des DDTM annoncent des contrôles renforcés sur les côtes, de la Bretagne au bassin d’Arcachon en passant par la Méditerranée. L’objectif : traquer le travail dissimulé, vérifier la conformité des qualifications et faire appliquer les normes de sécurité maritime.
En cas d’infraction, les contrevenants encourent jusqu’à 45 000 euros d’amende, trois ans de prison, la confiscation du navire, voire une interdiction d’exercer toute activité commerciale maritime.
Ces mesures visent à dissuader les pratiques illégales, mais aussi à protéger les consommateurs souvent peu informés sur la réglementation applicable.
Un vide juridique partiellement comblé, mais toujours exploité
Le succès des plateformes numériques comme Click & Boat a révélé les limites des régulations actuelles. Bien que l'entreprise affirme « veiller scrupuleusement à la régularité des annonces », la responsabilité finale repose souvent sur le loueur, et donc sur sa bonne foi. Ce déséquilibre réglementaire rend difficile une application stricte du droit.
Le ministère chargé de la mer a, à plusieurs reprises, rappelé que l’activité de skipper rémunéré doit obligatoirement être déclarée, encadrée et soumise à inspection. Mais tant que le principe de “mise en relation” entre particuliers prévaut, les contrôles resteront complexes.
Prudence à bord, responsabilité à quai
Entre opportunité économique et contournement légal, la location de bateaux cache des écueils méconnus. Louer un voilier ou une vedette à moteur avec un faux skipper, c’est risquer plus qu’une mauvaise navigation : c’est exposer ses passagers, son patrimoine et sa liberté.
Les autorités appellent à la vigilance. Elles rappellent qu’un skipper qualifié est un professionnel formé, certifié et assuré. À l’heure où les locations maritimes se multiplient, une seule règle devrait prévaloir : ne jamais confier la barre à quelqu’un dont les compétences ne sont pas clairement établies.