Promulguée le 27 février 2025, la loi interdisant l’usage des substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) dans plusieurs secteurs de consommation place la France à l’avant-garde de la lutte contre les « polluants éternels ». Mais cette avance réglementaire, saluée comme un signal fort en matière de santé publique, inquiète désormais une partie croissante des industriels, chercheurs et économistes.
PFAS : la loi française face au risque de décrochage industriel

En adoptant une législation unilatérale et précipitée, la France pourrait fragiliser ses propres filières stratégiques, au moment même où elle tente de relancer son appareil productif. Un risque de désalignement se dessine à l’échelle européenne, alors que l’Union, de son côté, s’oriente vers une régulation différenciée, articulée autour des usages dits essentiels.
PFAS : Une loi plus rapide et plus rigide que le projet européen
Depuis 2023, cinq États membres — l’Allemagne, le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas et la Suède — pilotent une initiative conjointe dans le cadre du règlement REACH pour restreindre les PFAS à l’échelle de l’UE. Ce projet, actuellement en phase d’évaluation par l’ECHA, repose sur deux piliers structurants : la gradation des risques selon les familles de molécules, et la reconnaissance des usages « essentiels pour la société » lorsqu’aucune alternative satisfaisante n’est disponible. L’approche européenne prévoit des délais d’adaptation de 5 à 12 ans selon les secteurs, avec des dérogations encadrées.
La France a choisi une autre voie. La loi adoptée le 20 février 2025 à l’Assemblée nationale prévoit une interdiction dès janvier 2026 de la fabrication, l’importation et la mise sur le marché de cosmétiques, vêtements, chaussures, farts de ski et produits d’hygiène contenant des PFAS. Tous les textiles seront concernés à partir de 2030, à l’exception des équipements destinés à la sécurité civile et à la défense. Aucun mécanisme explicite de hiérarchisation toxicologique ou d’usage essentiel n’a été intégré au texte, ce qui ouvre la voie à une application uniforme, y compris pour les composés considérés comme inertes et sûrs.
Des usages industriels stratégiques menacés
Le tissu industriel français s’inquiète des effets concrets de cette législation. Les PFAS sont présents dans de nombreux composants à haute valeur ajoutée : isolants thermiques pour l’aéronautique, membranes dans les piles à hydrogène, revêtements pour dispositifs médicaux implantables, câbles à haute performance dans l’électronique, ou encore textiles techniques pour le bâtiment. Ces usages s’appuient principalement sur des polymères fluorés de masse élevée comme le polytétrafluoroéthylène (PTFE), qui ne sont ni solubles, ni bioaccumulables, ni mobiles dans l’environnement.
Dans la vidéo documentaire « Une manipulation derrière la loi anti-PFAS ? », diffusée sur YouTube par l’émission Et si l’économie sauvait l’écologie ?, le chimiste Bruno Améduri, directeur de recherche au CNRS, résume : « Le PTFE est chimiquement inerte, ne se dégrade pas, ne migre pas, et n’est pas absorbé par le corps humain. Il est utilisé dans des applications médicales où la stabilité est une exigence absolue. » Ce type de polymère, largement reconnu comme non toxique par les agences sanitaires européennes et américaines, est pourtant concerné par la loi française, faute de distinction dans le texte.
Une méthode législative sous le feu des critiques
La tribune publiée dans Le Figaro le 31 mars 2025 par François de Rugy, ancien ministre de la Transition écologique, et le journaliste Laurent Lesage, renforce cette mise en cause. Les auteurs dénoncent un processus biaisé : « La loi restera, hélas, le symbole d’une dérive préoccupante : celle d’un Parlement de plus en plus perméable à la pression émotionnelle et à la stratégie militante plutôt qu’à l’analyse rationnelle et contradictoire. » Ils pointent l’absence d’étude d’impact économique, le rejet des expertises scientifiques spécialisées, et l’omniprésence de figures médiatiques relayant un discours alarmiste sans fondement différencié.
L’exclusion médiatique de chercheurs comme Bruno Améduri est également évoquée. Bien qu’interrogé par France 2 dans le cadre d’un reportage, ses propos n’auraient jamais été diffusés. « Lorsque le diagnostic est mal posé, la réponse politique ne peut être que mauvaise », concluent les signataires.
Un choc réglementaire dans un contexte de relance industrielle
La principale inquiétude exprimée aujourd’hui par les acteurs industriels tient à la mise en œuvre effective du texte. Faute d’alternatives équivalentes à court terme, certaines entreprises envisagent de revoir leur stratégie d’investissement. Dans le textile, des stocks entiers pourraient devenir invendables. Dans le secteur des matériaux avancés, le risque de perte de compétitivité est réel, face à des concurrents européens qui resteront soumis à une régulation plus souple pendant encore plusieurs années.
Ce désalignement réglementaire intervient au moment où la France investit massivement dans le plan France 2030, avec plus de 50 milliards d’euros dédiés à la réindustrialisation, la souveraineté technologique et la transition écologique. Or, les PFAS sont souvent des leviers techniques indispensables dans le développement des technologies bas carbone, notamment dans les batteries solides, les électrolyseurs ou les composants d’électronique de puissance. Un encadrement trop rigide, sans distinction d’usage ni accompagnement à l’innovation, pourrait fragiliser ces filières au lieu de les accélérer.
Si la France a voulu afficher un volontarisme environnemental, sa position désormais plus stricte que celle du reste de l’Union pourrait créer un effet boomerang. Des industriels évoquent un risque de fragmentation du marché intérieur européen, voire de fuite des projets industriels vers des pays à régulation plus cohérente et prévisible. La question centrale n’est pas de savoir s’il faut encadrer les PFAS, mais comment le faire de manière scientifiquement rigoureuse, économiquement soutenable, et stratégiquement alignée avec les ambitions industrielles.