Une décision médicale à première vue. Mais derrière le remboursement des verres Miyosmart par la Sécurité sociale se cache une restructuration silencieuse du marché de l’optique, pesant des centaines de millions d’euros.
Myopie : un nouveau moteur économique pour l’industrie optique française

Depuis le 17 juin 2025, la Sécurité sociale rembourse partiellement les verres de lunettes dits "freinateurs de myopie", utilisés pour limiter l’allongement du globe oculaire chez les enfants de 5 à 16 ans. Une mesure perçue comme sanitaire, mais dont les retombées économiques sont majeures, tant pour les fabricants que pour les distributeurs, les complémentaires santé et l’assurance maladie elle-même. Le marché français des verres correcteurs, déjà estimé à 2,5 milliards d’euros, entre dans une nouvelle phase d’expansion ciblée.
Un marché ciblé de 150 millions d’euros dopé par la Sécu
Les verres Miyosmart, produits par le groupe japonais Hoya, sont les premiers à bénéficier du remboursement. À raison de 300 euros la paire et une prise en charge de 44,28 euros par verre, cette mesure pourrait générer un volume estimé à plus de 150 millions d’euros par an, si seulement la moitié des 510 000 enfants concernés étaient équipés.
L’effet immédiat est double :
- Accroître le taux d’équipement dans des foyers jusqu’ici exclus pour raisons budgétaires.
- Créer une demande structurelle dans le segment des équipements préventifs pédiatriques.
Selon la revue Clinique de la Vision (mai 2024), « le segment des verres freinateurs devrait croître de +27 % par an sur les trois prochaines années, porté par l’intégration dans les nomenclatures de remboursement ».
Hoya en pole position, Essilor à la traîne
Le marché bénéficie d’un effet de verrouillage temporaire. Hoya, détenteur du label DIMS et du brevet Miyosmart, jouit d’une position exclusive sur ce nouveau créneau remboursé. Les concurrents, comme EssilorLuxottica, n’ont pas encore reçu d’avis favorable de la Haute autorité de santé pour leurs propres technologies freinateurs.
Cette situation :
- Concentre les flux de commandes vers un seul acteur.
- Freine l’entrée de nouveaux produits concurrents à court terme.
- Pousse les distributeurs opticiens à réorganiser leur offre pour proposer les modèles éligibles au remboursement.
Mutuelles et État : un partage de la charge
Le reste à charge, autour de 60 % du prix, est généralement absorbé par les complémentaires santé, dans le cadre des contrats responsables. D’après 20 Minutes, le reste financé par la Sécurité sociale demeure modeste à l’échelle nationale mais massif à long terme : « 44,28 euros par verre, soit 88,56 euros par paire ». Pour 100 000 enfants équipés par an, cela représente près de 9 millions d’euros de dépenses publiques nouvelles.
Les mutuelles, elles, absorbent le différentiel, mais voient dans cette innovation un outil pour :
- Réduire les complications ophtalmiques coûteuses à long terme.
- Valoriser leur couverture santé pour les familles jeunes, segment particulièrement sensible aux frais d’optique.
Un catalyseur industriel pour l’optique en France
Le remboursement pourrait aussi rebattre les cartes de l’industrie optique française. Si les verres sont pour l’heure importés, les réseaux de distribution, les opticiens et les laboratoires d’adaptation bénéficient d’une hausse de volume. À terme, les acteurs français comme BBGR, Novacel ou Essilor pourraient relocaliser certaines lignes de production ou adapter leurs technologies pour satisfaire les critères de remboursement de la Haute autorité de santé.
Ainsi, derrière une décision médicale se cache une mutation structurelle du marché optique français. En intégrant le remboursement des verres freinateurs dans ses dispositifs, l’État active un levier économique puissant, au croisement de la santé publique, de la protection sociale et de l’industrie. À l’heure où la myopie évolutive devient un enjeu de masse, l’optique pédiatrique entre de plain-pied dans la logique économique des biens remboursables : un secteur stratégique en voie de réinvention.