Déclaration d’Éric Lombard : les limites d’un système peu transparent.

18 juin 2025 — La controverse suscitée par la déclaration de patrimoine d’Éric Lombard, ministre de l’Économie, résonne bien au-delà du champ politique. Si la tempête médiatique a été déclenchée par une enquête du Canard enchaîné, ce sont les mécanismes économiques en jeu qui méritent une lecture approfondie. En cause : des écarts vertigineux entre la valeur déclarée des biens du ministre et les estimations de marché. L’affaire révèle une frontière poreuse entre optimisation patrimoniale légale et opacité démocratique.

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By Amandine Leclerc Last modified on 19 juin 2025 12h44
Lombard Economie
Déclaration d’Éric Lombard : les limites d’un système peu transparent. - © Economie Matin
4 M€À La Trinité-sur-Mer, une villa de 410 m² achetée 1,8 M€, rénovée, a été déclarée à 600 000 €, mais sa valeur réelle est estimée entre 3,5 et 4 M€.

Usufruit, indivision, sociétés d’investissement : les outils d’une déclaration allégée

Le cœur du dossier repose sur l’évaluation de deux biens immobiliers détenus par le ministre. À La Trinité-sur-Mer, dans le Morbihan, une villa de 410 m², achetée 1,8 million d’euros et lourdement rénovée, a été déclarée à 600 000 euros. Des agents immobiliers interrogés par le Canard enchaîné estiment pourtant ce bien entre 3,5 et 4 millions d’euros.

La défense de Bercy ? Une part de 50 % seulement, et surtout, une détention en usufruit. Selon le communiqué du ministère, le calcul est conforme aux règles de la HATVP. L’usufruit, bien que légalement valable, réduit mécaniquement la valeur à déclarer, parfois de manière radicale. Il en va de même pour un appartement de 180 m², estimé à 2,8 millions d’euros à l’achat, mais déclaré pour 1,4 million, toujours en indivision.

Halmahera, Greenstock : le capital caché derrière des écrans fiscaux

Au-delà des biens immobiliers, l’architecture sociétaire joue un rôle crucial. Le Canard enchaîné cite une société Halmahera, présidée par l’épouse d’Éric Lombard, sans activité commerciale visible, mais versant 6 millions d’euros de dividendes annuels. Le ministère précise, via le HuffPost, qu’Halmahera agit uniquement comme holding patrimoniale, détenant des participations dans Greenstock, structure elle-même isolée des décisions de gestion.

Ce montage, usuel dans le monde des grandes fortunes, concentre des flux financiers importants tout en maintenant une certaine opacité sur l’origine et la gestion des actifs. Aucun élément ne prouve une illégalité, mais cette configuration questionne l’efficacité du système déclaratif lorsqu’il s’applique à des patrimoines complexes.

Patrimoine non liquide, asymétrie d’information et sous-évaluation systémique

Cette affaire met en lumière une asymétrie structurelle : les déclarations de patrimoine reposent souvent sur des valeurs d’auto-évaluation, sans contre-expertise indépendante ni vérification fiscale immédiate. Résultat : les agents publics disposant de montages sophistiqués peuvent, légalement, minorer leur patrimoine réel dans des proportions considérables.

Comme le résume BFMTV, l’écart total atteint 21 millions d’euros, soit quasiment l’intégralité de ce que le ministre a officiellement déclaré. Ce chiffre reflète moins une faute qu’un système économique permissif, qui peine à saisir la valeur réelle des actifs non liquides, à forte inertie ou détenus via des structures interposées.

Les élites économiques à l’épreuve de la transparence

Dans ce contexte, l’affaire Lombard pose une question cruciale : la transparence du patrimoine est-elle compatible avec l’architecture économique de l’élite dirigeante ? Loin d’être un cas isolé, le recours à l’usufruit, à l’indivision ou aux sociétés d’investissement est monnaie courante chez les hauts responsables, comme le soulignent plusieurs affaires récentes couvertes par la Charente Libre et L’Essentiel.

Faut-il imposer une contre-évaluation indépendante ? Revoir les règles de la HATVP ? Intégrer des indicateurs de marché ? L’enjeu est de taille : rétablir la confiance dans la régulation patrimoniale des décideurs économiques, à l’heure où l’exigence de probité devient centrale dans la gouvernance publique.

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