L’État a officiellement annoncé son entrée au capital de l’usine Chapelle Darblay à Grand-Couronne, en Seine-Maritime. Ce geste politique, porté par une enveloppe de 52 millions d’euros, met fin à une agonie industrielle longue de plusieurs années. Mais cette intervention tardive suffira-t-elle à redonner vie à un site mythique de la papeterie française, devenu symbole d’un militantisme syndical opiniâtre ? Chapelle Darblay, jadis locomotive du recyclage papier, ressuscite sous perfusion publique.
Chapelle Darblay : après des années d’oubli, l’État s’invite enfin au chevet de l’usine

Chapelle Darblay : l'État investit, une victoire... ou un aveu de faiblesse ?
Les chiffres claquent comme une évidence politique : 27 millions d’euros investis directement par l’État dans le capital de l’entreprise, accompagnés de 25 millions d’euros de subventions publiques. C’est ce qu’a confirmé la ministre déléguée à l’Industrie, Marina Ferrari, en déplacement sur le site le 7 juin 2025 : « L’État assume ses responsabilités industrielles pour garantir une relance durable ». Et l’État ne vient pas seul : il s’appuie sur le tandem privé Fibre Excellence et Veolia pour relancer le site.
Mais cette résurrection ne s’est pas faite sans combat. Il aura fallu 2.096 jours de lutte, de mobilisation, de recours juridiques et de pressions politiques. « On se bat depuis six ans pour sauver ce site. C’est une victoire historique », déclarait le 8 juin 2025 Fabrice Coudour, le président de la CGT Mines et Énergie.
Chapelle Darblay : du géant du recyclé à la friche politique
Fondée au XXe siècle, l’usine de Chapelle Darblay s’était imposée comme un mastodonte du recyclage. En 2020, elle était encore capable de désencrer et recycler jusqu’à 450.000 tonnes de papier par an, avec un effectif de 236 salariés. Mais le déclin du papier presse et les hésitations politiques ont eu raison du modèle économique. Fermée brutalement, vendue, rachetée, puis laissée en jachère, la papeterie semblait vouée à disparaître dans l’indifférence.
Un symbole ? Oui, mais un symbole encombrant. L’ancien propriétaire, UPM, s’en est désengagé, et aucun acteur industriel n’avait osé miser sérieusement sur sa relance. Jusqu’à ce que l’État, sous pression locale et syndicale, rompe son silence.
Chapelle Darblay : résurrection ou bricolage économique ?
Le projet porté par Fibre Excellence est ambitieux : relancer une production de pâte recyclée sur un site repensé, avec des investissements totaux estimés à 274 millions d’euros. L’objectif : produire à nouveau à grande échelle tout en répondant aux impératifs de décarbonation. Mais ce plan repose sur un équilibre fragile : l’apport de fonds privés reste incertain, conditionnant l’utilisation des 52 millions publics.
Ce montage financier fait grincer quelques dents. La CGT se félicite de la relance mais reste vigilante : « C’est un soutien conditionné. Il faut s’assurer que les engagements écologiques et sociaux soient respectés ». Car le diable est dans les détails : combien d’emplois créés ? Quel modèle de gouvernance ? Quelle indépendance réelle du site vis-à-vis des actionnaires industriels ?
Chapelle Darblay : l’écologie en étendard, mais à quel prix ?
L’un des arguments phares du sauvetage, c’est bien la relance d’un modèle de production écologique. Chapelle Darblay ambitionne de devenir une référence du papier recyclé sans bois. Un retour aux sources ? Pas tout à fait. Derrière la bannière verte, le projet de Fibre Excellence reste flou sur la provenance des matières, les technologies utilisées et les garanties environnementales.
« L’usine doit redevenir un modèle d’économie circulaire. C’est un enjeu national », affirmait la ministre Marina Ferrari. Un vœu pieux, ou une stratégie industrielle de long terme ? Le passé récent incite à la prudence. Chapelle Darblay avait déjà été qualifiée de modèle avant d’être abandonnée...