Le fossé entre la perception des Français et les choix politiques en matière de drogue n’a jamais été aussi frappant. Une fracture révélée par l’OFDT qui dévoile que la position de l’État français est de moins en moins tenable, alors que les citoyens, eux, ont bien compris quelles drogues sont les plus dangereuses pour la société. Spoiler : elles sont en vente libre…
Drogue : les Français ont compris que l’alcool est dangereux, pas le cannabis

Le 17 juillet 2025, l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) a publié les résultats de son enquête EROPP 2023. Cette vaste étude menée tous les cinq ans interroge les Français sur leurs représentations en matière de drogue. Elle révèle une évolution nette des opinions : les substances les plus ancrées dans la culture légale – alcool et tabac – sont désormais perçues comme plus dangereuses que des produits jusqu’ici stigmatisés, comme le cannabis. Une perception qui, loin d’être irrationnelle, s’aligne rigoureusement sur les données scientifiques. L’État, lui, reste figé sur des logiques dépassées et une défense sans faille d’une des pires drogues en circulation, l’alcool.
Alcool et tabac : les substances les plus redoutées en France sont en vente libre
D’après les résultats de l’enquête EROPP 2023, seuls 38 % des Français considèrent aujourd’hui le cannabis comme une drogue dangereuse. À l’inverse, 71 % estiment que l’alcool représente un véritable danger pour la santé et la société. Le tabac, quant à lui, est jugé nocif par 67 % des répondants. Ces données confirment une bascule profonde dans l’opinion publique, amorcée il y a déjà plus de dix ans mais désormais consolidée et irréfutable.
« Les Français identifient aujourd’hui plus facilement les effets concrets de l’alcool et du tabac sur la santé, sur les familles, sur la société », résume Stanislas Spilka, épidémiologiste à l’OFDT cité par RFI. Cette inversion des perceptions ne relève pas d’un effet de mode ou d’un basculement idéologique : elle repose sur une observation empirique du quotidien. Le cannabis ne tue pas. L’alcool, si. Il est en effet assez rare de voir, dans les faits, des violences liées uniquement à l’usage de cannabis : l’alcool est très souvent la cause.
La science donne raison à la société qui a compris plus vite que Darmanin, Retailleau et compagnie
Contrairement à ce que certains discours politiques persistent à affirmer, notamment ceux de Gérald Darmanin, Garde des Sceaux, et Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, cette nouvelle hiérarchie de la dangerosité des drogues est solidement étayée par la recherche scientifique. Dès 1998, le professeur Bernard Roques, mandaté par le Secrétariat d’État à la Santé, établissait une échelle comparative des drogues. Ce classement, toujours reconnu comme référence par les institutions françaises, s’appuie sur trois critères fondamentaux : toxicité physique, potentiel addictif, et impact social.
Les résultats sont clairs :
- L’héroïne et la cocaïne dominent le classement.
- L’alcool arrive en troisième position, devant les barbituriques, les benzodiazépines, le tabac.
- Le cannabis ne figure qu’en septième position, loin derrière les produits les plus nocifs, y compris ceux vendus légalement.
Selon le rapport Roques (OFDT, 1999), le cannabis présente une faible toxicité aiguë, un potentiel de dépendance modéré et des conséquences sociales limitées, comparativement à l’alcool, dont la consommation est associée à des milliers de morts chaque année, à des violences intrafamiliales, à des accidents routiers et à de lourds coûts pour la collectivité.
Autrement dit, les Français ont raison. Et l’État sait depuis plus de 20 ans que le cannabis, toujours illégal, est plus dangereux que l’alcool, en vente libre dans n’importe quel supermarché. Pire : alors qu’il est relativement compliqué de se procurer du cannabis, a fortiori lorsqu’on est mineur, l’alcool est vendu allègrement à des moins de 18 ans par la très grande majorité des distributeurs de France, comme l’a dévoilé une enquête d’Addictions France publiée en juillet 2025.
Alcool et cannabis : des politiques publiques à contre-courant des faits et de la société
Face à cette convergence entre perception populaire et réalité scientifique, on pourrait s’attendre à ce que la politique publique en matière de drogue évolue. Il n’en est rien. En France, le cannabis reste strictement interdit, la possession punie par la loi, et sa consommation toujours criminalisée. Et le narcotrafic est devenu la bête noire du ministère de l’Intérieur. À l’inverse, l’alcool est massivement publicisé, disponible en libre-service, omniprésent dans les espaces festifs et soutenu par des lobbies puissants.
Cette incohérence n’est pas marginale : elle est structurelle. Alors même que l’OFDT alimente depuis plus de vingt ans les décideurs politiques avec des données objectives, les réponses législatives continuent d’ignorer les classements de dangerosité pour s’ancrer dans une morale d’État plus que dans une logique de santé publique. En 2022 déjà, l’Académie nationale de médecine dénonçait « l’absence d’alignement entre la dangerosité réelle des substances et leur statut juridique ». Rien n’a changé. Le cannabis reste assimilé à la cocaïne dans le Code pénal, alors même que les scientifiques, les médecins et désormais les citoyens eux-mêmes, le placent bien en-deçà.
Drogues en France : vers une rupture du consensus politique ?
La France fait aujourd’hui figure d’exception répressive en Europe. Là où l’Allemagne, le Luxembourg ou Malte ont engagé des processus de régulation contrôlée du cannabis, la France maintient une politique d’interdiction rigide. Pourtant, l’opinion évolue. Selon l’enquête EROPP, 48 % des personnes interrogées se disent favorables à une légalisation encadrée du cannabis. Un chiffre en progression constante.
Cette dissonance entre la société et les institutions interroge : jusqu’à quand l’État pourra-t-il justifier un arsenal législatif basé sur des conceptions désuètes, en contradiction avec les faits, les données scientifiques et la volonté populaire ? D’autant plus qu’il est connu que la légalisation du cannabis rapporte gros en taxes à tout Etat qui se lance dans l’aventure, l’exemple Américain l’a prouvé à maintes reprises. Une manne fiscale que le gouvernement rejette régulièrement tout en augmentant les impôts et en baissant les prestations sociales.
La France ne pourra éternellement maintenir cette posture schizophrène. Entre les chiffres, les morts, les addictions légales et la répression des usagers de cannabis, il devient urgent de repenser la hiérarchie des drogues. Non pas selon l’idéologie, mais selon la réalité.