Une coalition de députés de tous bords a présenté, ce 13 mai à l’Assemblée nationale, un rapport sur l’avenir du parc hydroélectrique français. Point de départ, remettre en cause les concessions historiques encadrant la gestion des barrages pour les faire basculer vers un régime d’autorisation. Et ce afin de préserver la souveraineté énergétique française tout en contenant la pression réglementaire de Bruxelles.
Barrages hydroélectriques : les députés veulent éviter l’ouverture à la concurrence

La gestion des barrages en sursis
Aujourd’hui, la France exploite le deuxième parc hydraulique d’Europe, avec une capacité de 26 gigawatts, soit 17 % de la production nationale d’électricité, contre 61 GW pour le nucléaire. Mais derrière cette puissance se cache un système dérivant depuis vingt ans, verrouillé par un cadre de concession arrivé à bout de souffle.
Attribuées à EDF, à la Compagnie nationale du Rhône (CNR) ou à la Société hydro-électrique du Midi (Engie), ces concessions, souvent prévues pour soixante-quinze ans, ont pour certaines expiré sans être renouvelées. Résultat, 61 ouvrages sont aujourd’hui hors des clous juridiques, freinant toute perspective de modernisation. La députée Marie-Noëlle Battistel, rapporteure PS du rapport, résume sans détour dans des propos rapportés par Les Echos : « Nous sommes totalement unanimes pour dire que la mise en concurrence n’est pas la solution et la France ne choisira pas cette option ».
Le régime d’autorisation en embuscade
Pour sortir de l’impasse sans céder aux injonctions bruxelloises, les parlementaires proposent un changement structurel : abandonner les concessions au profit d’autorisations, c’est-à-dire de contrats à long terme entre l’État et les exploitants. Cette mutation, loin d’être anodine, ouvrirait la voie à une forme de propriété partagée des infrastructures et donnerait une visibilité aux opérateurs, incitant à l’investissement.
Marie-Noëlle Battistel le concède : « Ce régime n’est pas parfait mais c’est la solution la plus robuste ». Mais la manoeuvre reste délicate. Si elle recueille un large assentiment parmi les acteurs auditionnés, cette solution emporte avec elle un risque lourd, celui de voir émerger des formes rampantes de privatisation. Le rapport pointe les enjeux de « la sécurité des populations », de « la gestion de la ressource en eau » et de « *l’exécution du service public de l’électricité », autant de missions que des acteurs privés pourraient difficilement garantir sans garde-fous.
Bruxelles, l’ombre portée d’un modèle contesté
En toile de fond, l’affrontement avec la Commission européenne reste entier. Depuis les procédures ouvertes en 2015 et 2019 pour non-respect de la directive "concessions" de 2014, la France s’enlise. Et si la bascule vers l’autorisation est censée calmer Bruxelles, elle suppose aussi d’accorder des contreparties substantielles. C’est le prix à payer pour éviter une nouvelle gifle juridique. Les députés l’assument, une partie de la production hydraulique pourrait être rétrocédée à des tiers. Mais attention aux faux remèdes.
Le spectre d’un "Arenh hydro", calqué sur l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique, est clairement rejeté. Ce régime, instauré en 2010, est aujourd’hui critiqué pour son asymétrie : « Les travers de l’Arenh, au premier rang desquels son fonctionnement asymétrique, sans aucune prise de risque des bénéficiaires, [...] ne doivent pas être reproduits », martèle le rapport. À la place, les auteurs prônent un système plus souple, avec des « droits de tirage » ou un "barrage virtuel", ajustable selon les besoins des clients. De quoi contourner un marché ultralibéral, sans en reprendre la logique.
Barrages : jusqu’où ira le gouvernement ?
L’exécutif, de son côté, semble prêt à embrasser ce virage. L’entourage du Premier ministre juge les pistes du rapport « très prometteuses ». Le gouvernement pourrait même soutenir une proposition de loi inspirée du rapport, promise « au plus vite ».
De son côté, EDF fait monter la pression. Son nouveau PDG Bernard Fontana a affirmé fin avril devant les parlementaires que la sortie du blocage permettrait d’augmenter de 20 % la puissance hydraulique installée en France, soit 4 gigawatts supplémentaires. Parmi les leviers prioritaires évoqués : la multiplication des STEP (stations de transfert d’énergie par pompage), indispensables à la gestion des pics de production renouvelable.