Blanchiment, IA, dark web : les banques françaises s’avouent impuissantes

Malgré une confiance affichée dans leurs dispositifs, les banques françaises peinent à enrayer une fraude financière toujours plus sophistiquée. Enquête après enquête, les mêmes constats s’imposent : manque de coordination, sous-investissement stratégique, avance technologique des criminels… Et un appel de plus en plus pressant à une mobilisation collective, au-delà des seules institutions financières.

Anton Kunin
By Anton Kunin Published on 18 juin 2025 8h00
Blanchiment, IA, dark web : les banques françaises s’avouent impuissantes
Blanchiment, IA, dark web : les banques françaises s’avouent impuissantes - © Economie Matin
8,6 millions d'euros51% des directeurs financiers de banques françaises déclarent perdre plus de 8,6 millions d'euros par an.

Au sein des banques, les salariés en charge de la lutte contre le blanchiment font le strict minimum

À en croire l’étude menée par BioCatch auprès de responsables français de la fraude et de la lutte contre le blanchiment au sein des banques, 92% d’entre eux estiment que leur organisation est efficace face à la criminalité financière. Louable assurance. Mais à y regarder de plus près, cet optimisme s’effrite : seuls 51% jugent que leur travail a un véritable impact à l’échelle globale, tandis que 43% confessent que leurs efforts n’ont strictement aucune portée au-delà de leur propre entreprise.

Autrement dit, l’efficacité est proclamée, mais l’influence réelle est locale, isolée. La coordination internationale, pourtant essentielle face à des réseaux criminels transfrontaliers, reste lettre morte. Et que dire de cette statistique glaçante : 59% des professionnels admettent restreindre leurs enquêtes au seul compte impliqué, négligeant les connexions vers les réseaux élargis. Une approche en silo qui contraste dramatiquement avec le fait que 76% reconnaissent qu’un cas de blanchiment en dissimule généralement plusieurs autres.

La fraude évolue, les banques peinent à suivre

La sophistication des criminels dépasse désormais les capacités d’adaptation des établissements. Pour 82% des répondants, les groupes criminels ont une avance technologique certaine, notamment grâce à l’intelligence artificielle, aux cryptomonnaies ou encore à l’exploitation des forums du dark web. Loin d’une exagération paranoïaque, cette perception est partagée par 83% des participants, qui établissent un lien direct entre fraude bancaire et des fléaux comme la traite d’êtres humains, le terrorisme ou le trafic de drogue.

Matthew Platten, responsable avant-vente chez BioCatch France, l’illustre sans détour : « Les professionnels de la gestion de la fraude et de la lutte contre le blanchiment d'argent s'accordent à dire que l’IA, les réseaux sociaux et les forums du dark web (73%) ont considérablement accru la sophistication des crimes financiers ».

Banque et fraude : une guerre au coût exorbitant et mal armée

Si les montants évoqués suffisent à donner le tournis, ils révèlent surtout un échec cuisant en matière de prévention. Plus de la moitié des établissements interrogés rapportent des pertes annuelles de plus de 10 millions d’euros. Pour 13% d’entre eux, ces pertes excèdent même les 25 millions. Et comme si cela ne suffisait pas, 61% déclarent que ces pertes augmentent d’année en année.

Dans une tentative de réponse, les banques investissent massivement : 44% des sondés consacrent entre 10 et 24,9 millions d’euros par an à la lutte contre le blanchiment, couvrant coûts opérationnels, sanctions réglementaires et enquêtes internes. Une mécanique financière qui ressemble davantage à un puits sans fond qu’à une stratégie de redressement.

Ce n’est pas le manque de volonté qui est en cause, mais la conjonction de plusieurs freins structurels. En tête : la sécurité des données (33%) et la cybersécurité (31%), mais aussi des infrastructures technologiques vétustes, la fragmentation des systèmes et un manque cruel de compétences internes.

Appel à l’État : la banque ne peut pas tout faire seule

Face à cette impasse, les professionnels du secteur en appellent à un soutien plus structuré. 90% d’entre eux estiment qu’une réponse publique ambitieuse est indispensable pour contenir efficacement la fraude à grande échelle. Une demande de régulation renforcée, mais aussi de coopération accrue entre régulateurs, banques et fournisseurs de technologies. Car pendant que les cybercriminels partagent outils et savoir-faire à l’échelle planétaire, les banques, elles, avancent en ordre dispersé. Et tant que l’approche restera cloisonnée, chaque euro investi risque de n’être qu’un pansement sur une hémorragie.

Le tableau dressé par BioCatch est clair : la fraude ne cesse de croître, plus rapide, plus intelligente, plus invisible. Pendant ce temps, les banques, bien que conscientes des enjeux, s’épuisent à contenir une menace qui les dépasse. Le véritable virage, celui d’une réponse collective, systémique, technologique et réglementaire, n’a toujours pas été pris. Il ne reste plus qu’à espérer que ce rapport soit, cette fois, le coup de semonce entendu.

Anton Kunin

Après son Master de journalisme, Anton Kunin a rejoint l'équipe d'ÉconomieMatin, où il écrit sur des sujets liés à la consommation, la banque, l'immobilier, l'e-commerce et les transports.

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