La France boit moins : l’effondrement des ventes d’alcools forts

Les rayons de bouteilles d’alcool fort se vident, mais pas comme on l’imagine. Un basculement discret mais massif agite le secteur des spiritueux. Et derrière les chiffres, un véritable bouleversement des habitudes se dessine… pour le bien de la santé de tous.

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 16 juin 2025 6h39
Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), agence de l’OMS, classe l’alcool comme cancérogène avéré de groupe 1, au même titre que l’amiante ou le tabac.
Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), agence de l’OMS, classe l’alcool comme cancérogène avéré de groupe 1, au même titre que l’amiante ou le tabac. - © Economie Matin
7%En 2015 déjà, Santé publique France recensait 41 000 morts, soit 7 % des décès chez les plus de 15 ans.

Le 14 juin 2025, la Fédération française des spiritueux (FFS) a dévoilé des données stupéfiantes sur l’évolution de la consommation d’alcool dans l’Hexagone. La baisse de la consommation continue. Une tendance lourde, chiffrée, qui inquiète les professionnels du secteur mais qui est salutaire pour la santé publique… et la société en général.

Un recul historique de la consommation d’alcool fort en France

« Quinze pour cent des Français ne boivent plus une seule goutte d’alcool », titrait BFMTV le 14 juin 2025, une annonce qui a déclenché un véritable séisme dans l’univers des spiritueux. Le même jour, La Dépêche confirmait cette évolution : « le secteur du spiritueux est de plus en plus inquiet ». Les chiffres sont sans appel. Les ventes de whisky, rhum, cognac et autres eaux-de-vie connaissent une « dégringolade » persistante. Les Échos parlent d’un « recul structurel » des spiritueux, soulignant que la tendance ne date pas d’hier mais s’accentue dangereusement en 2025.

D’après les derniers chiffres de la Fédération française des spiritueux cités par Rayon-Boissons (mai 2025), les ventes en grande distribution ont chuté de 3,8 % à 247 millions de litres, et celles dans les cafés, hôtels et restaurants (CHR) de 2 % à 20,8 millions de litres.

Une prise de conscience collective face au danger de l’alcool

Ce désamour des alcools forts n’est pas un simple effet de mode. Il résulte d’une prise de conscience sanitaire, lentement mais sûrement ancrée dans la société française.

L’alcool est responsable de 49 000 décès annuels en France, selon les dernières estimations du Ministère de la Santé. En 2015 déjà, Santé publique France recensait 41 000 morts, soit 7 % des décès chez les plus de 15 ans. Parmi eux, 16 000 sont directement liés à des cancers.

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), agence de l’OMS, classe l’alcool comme cancérogène avéré de groupe 1, au même titre que l’amiante ou le tabac. Pire : « même à faibles doses, l’alcool augmente le risque de cancer du sein, de maladies cardiovasculaires et de dépendance », alerte un rapport de Santé publique Québec de 2024.

Alcool : mes jeunes en première ligne du changement de consommation

Le virage vers une sobriété assumée est particulièrement visible chez les plus jeunes. Le baromètre SOWINE/Dynata 2025 révèle que 22 % des 18-25 ans se déclarent abstinents, un chiffre stable par rapport à 2024 mais en forte hausse par rapport à 2020. Chez les 18-34 ans, 13,4 % ne consomment plus d’alcool à domicile. Ce taux a doublé en quatre ans.

Les pratiques festives évoluent également : l’opération Dry January (janvier sans alcool) a provoqué en 2024 une chute de 22 % des ventes dans la restauration française, notamment pour la tequila (-19 %), le gin (-20 %), le rhum (-18 %) et les liqueurs (-22 %).

Une industrie fragilisée face à une mutation irréversible

Face à ces mutations de comportement, les acteurs économiques du secteur accusent le coup. Le cognac, fleuron de l’exportation française, souffre. Le whisky, autrefois valeur refuge des rayons, ne séduit plus autant. Les professionnels s’inquiètent d’une tendance de fond. La désaffection ne touche pas que les volumes : elle frappe aussi la symbolique. Le verre de spiritueux n’est plus un marqueur social valorisé. Il devient le stigmate d’un mode de vie que de plus en plus de Français rejettent.

Et pour cause : alors que le gouvernement s’emploie à diaboliser le plus possible le cannabis, au centre de la lutte contre le narcotrafic voulue par Gérald Darmanin, la population se rend de plus en plus compte que l’alcool est une drogue dure. Selon les spécialistes en addictologie, malgré son image festive, l’alcool serait pire pour la société que l’héroïne et le crack. De quoi justifier très facilement son abandon par les plus jeunes, plus informés sur le sujet.

Vers une politique de prévention plus stricte contr eles méfaits de l’alcool

Portée par les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, la lutte contre l’alcoolisme s’intensifie. L’objectif est clair : réduire d’au moins 10 % la consommation d’alcool d’ici 2025. L’OMS plaide pour l’étiquetage obligatoire des risques cancérigènes et des avertissements sanitaires plus visibles. En France, la loi Évin encadre déjà strictement la publicité. Le gouvernement renforce également la prévention en milieu scolaire et les messages dissuasifs dans les campagnes de santé publique.

L’évolution actuelle dépasse le cadre d’une simple tendance. Elle engage un véritable basculement culturel et sanitaire. Pour la première fois depuis des décennies, l’alcool – longtemps banalisé, souvent célébré – est traité pour ce qu’il est : une drogue dure.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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