Au cœur des vignes, des vergers et des champs, l’acétamipride est devenu un énième témoin de la fracture grandissante entre deux mondes : urbain et agricole. Et on tire à boulets rouges sur toutes les personnes qui refusent de foncer tête baissée dans le sens dicté par les « écologistes ». Le journaliste d’enquête Laurent Lesage et l’ex-ministre de la Transition écologique François de Rugy ont décidé de se saisir de la polémique qui entoure la proposition de loi du sénateur Laurent Duplomb, qui vise à réintroduire – via une dérogation – l’utilisation de l’acétamipride, ce néonicotinoïde que l’on désigne sous le nom de « tueurs d’abeilles ».
Acétamipride : les écologistes mettent la corde au cou de nos producteurs de fruits

L’acétamipride est-il nocif pour la santé ? Pour les abeilles et autres insectes pollinisateurs ? Quelle position tient la Commission européenne sur ce néonicotinoïde et pourquoi est-il autant diabolisé ? Ce sont les questions que se sont posées Laurent Lesage et François de Rugy dans la dernière émission de leur chaîne YouTube Et si l’économie sauvait l’écologie ?, diffusée le 20 mai 2025. À rebours du discours dominant, les deux hommes, accompagnés de Géraldine Woessner, rédactrice en chef du Point, et de Françoise Roch, présidente de la Fédération des producteurs de fruits, s’appuient sur l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) pour dénoncer ce qu’ils perçoivent comme une prise en otage du débat public sur un sujet de première importance pour la France : sa souveraineté alimentaire.
L’Acétamipride : le « nouveau totem » des écologistes
Alors que l’acétamipride bénéficie d’un feu vert européen jusqu’en 2033, la France persiste à jouer les francs-tireurs. En janvier, le Sénat a adopté la proposition de loi du sénateur Laurent Duplomb visant à réintroduire — de manière strictement dérogatoire — l’usage de cet insecticide dans les filières agricoles en détresse. Mais, sitôt arrivée à l’Assemblée nationale, la proposition de loi a été vidée de sa substance : d’abord le 6 mai 2025, avec la suppression de son article 5 sur le stockage de l’eau. Et peut-être très prochainement concernant son article 2 sur l’acétamipride qui fait l’objet d’un véritable acharnement médiatique.
Pour le supprimer, les ONG écologistes ont dégainé leurs armes habituelles : générer la peur en opposant l’émotion à la raison. Sandrine Rousseau, députée EELV, va jusqu'à assurer que l'acétamipride est « l'une des causes du cancer du pancréas ». Générations Futures alerte pour sa part sur l’« effondrement écologique sans précédent » que représenterait sa réintroduction dans les filières agricoles, tandis que Marine Tondelier, secrétaire nationale et députée EELV, va jusqu’à parler d’« arrêt de mort des pollinisateurs ». Pourtant, comme le souligne Géraldine Woessner, chiffres à l’appui : « L’acétamipride est 2 300 fois moins toxique que la clothianidine — un autre néonicotinoïde interdit — par ingestion pour l’abeille, et 330 fois moins toxique par contact ». Elle poursuit :« On ne va pas dire que c’est un insecticide inoffensif ; c’est un puissant insecticide, mais il n’a pas du tout la même écotoxicité que les autres néonicotinoïdes. » C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on retrouve de l’acétamipride dans la plupart des insecticides utilisés par le grand public.
De fait, et faute d’avoir remporté « la bataille sur le glyphosate, l’acétamipride est leur nouveau totem », analyse Géraldine Woessner. Pour les opposants à sa réintroduction encadrée, qu’ils soient militants ou responsables politiques, il importe peu que la Commission européenne autorise ce néonicotinoïde — le seul encore permis parmi les cinq de cette famille de molécules— dans tous les pays membres de l’Union, et ce, jusqu’en 2033. Peu leur importe également que l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, n’ait relevé « aucune preuve de génotoxicité ni de cancérogénicité », ou encore que les scientifiques mandatés par Bruxelles aient retoqué les études françaises, pointant la faiblesse de leur méthodologie. Et pourtant, les preuves scientifiques sont là. Laurent Lesage a interrogé Eva Hrncirova, porte-parole de la Commission européenne, qui affirme qu’« il faut savoir que si l’acétamipride est utilisé avec les conditions qui sont fixées dans les autorisations, il ne pose pas de dangers pour la santé humaine, ni pour la biodiversité. Je pense que la science est avec nous. C’est vraiment un processus scientifique, indépendant et transparent».
Une pression politique par le bas
C’est bien connu, la peur fédère. Les associations et les ONG le savent, et elles ne rechignent pas à la susciter pour porter leur voix au sein d’une opinion publique qui demandera ensuite des comptes à ses élus. « Aucun politique ne veut avoir à gérer un scandale », souligne Françoise Roch, présidente de la Fédération des producteurs de fruits. Géraldine Woessner explique toute la malice de cette mécanique : « Les politiques ne lisent pas et ne comprennent pas ces études de l’EFSA, qui peuvent faire 200 pages. »
Cela se confirme au sein de l’Assemblée nationale. Delphine Batho, députée du Groupe écologiste et sociale, lors du passage de la loi Duplomb devant la commission du développement durable, a qualifié le texte de « hit-parade de dispositions d’inspiration trumpiste » et l’acétamipride de « poison ». Quel politique souhaite être assimilé à une proposition de loi qui est désignée sous ces termes ? Aucun. CQFD. La raison et la science sont volontairement exclues du débat démocratique. « Madame Batho donne des fausses informations. On sait que ce n’est pas un tueur d’abeille. L’acétamipride est amalgamé aux autres néonicotinoïdes (il y a 5 molécules dans cette famille, 4 ont été interdites au niveau européen) (…) Ce n’est pas un poison à tel titre que celui-ci est encore utilisé dans les colliers pour chiens, chats, contre les blattes, les fourmis ».
PFAS, acétamipride : encore et toujours la même mécanique
Cette mécanique bien rodée, et particulièrement efficace, François de Rugy, Laurent Lesage et Géraldine Woessner l’avaient déjà exposée dans un précédent épisode de leur chaîne Et si l'Économie sauvait l'Écologie ?, consacré aux PFAS, ces molécules souvent qualifiées de « polluants éternels ». Ils y démontraient comment une généralisation abusive — « tous les PFAS sont toxiques » — pouvait conduire, une fois encore, à une législation française plus stricte que celle de Bruxelles, avec pour conséquence directe l’affaiblissement de pans entiers de l’industrie nationale, au bénéfice de ses concurrents étrangers. Le parallèle est limpide : dans les deux cas, la mobilisation de l’opinion publique s’effectue par l’indignation collective, la peur, en faisant volontairement abstraction de tout argument scientifique. À noter également que l’acétamipride est un traitement qui ne s’applique qu’une fois par an, et bien avant la période de floraison, soit bien avant que les insectes pollinisateurs ne soient de sortie. Et comme le souligne Géraldine Woessner, c’est « une molécule considérée comme peu persistante dans l’environnement : elle a une durée de vie de huit jours dans les sols et de un à quatre jours dans l’eau. Après, elle a totalement disparu ».
« Les agriculteurs ne sont pas fous »
En France, les militants écologistes souhaitent donc délibérément placer nos producteurs face à une concurrence déloyale, puisqu’en Allemagne et dans tous les autres pays européens, on continue d’utiliser l’acétamipride. Pour ne donner qu’un exemple cité dans l’émission : la production de noisettes s’est effondrée, passant de 12 000 tonnes dans les années 2000 à 6 500 tonnes en 2024. En cause : l’impossibilité de traiter contre la punaise diabolique, venue d’Asie, et le ravageur historique de cette filière, le balanin. « Les agriculteurs ne sont pas fous ! » insiste Françoise Roch. Elle ajoute « quand on perd du rendement, automatiquement on augmente le coût de production. Cela ne peut pas marcher pour nos producteurs. » Pour le dire autrement, nous sommes en train de mettre la corde au cou de nos producteurs en les désarmant face aux ravageurs qui détruisent leur production, et donc leur compétitivité. Comme elle le souligne encore : « L’État s’est désengagé de la recherche agricole ». Thierry Moisy, arboriculteur interrogé par Laurent Lesage, abonde en son sens : « Il nous reste des solutions (pour combattre les pucerons), mais peu, et on prend le risque de les rendre inefficaces et surtout d’engendrer des résistances. Il faut tout mettre en œuvre pour reconquérir notre souveraineté alimentaire. Donnons alors en ce sens à nos agriculteurs les moyens d’atteindre ces objectifs (de souveraineté alimentaire) ».
"L’acétamipride est utilisé par 26 Etats membres sur 27", déclare @AnnieGenevard, qui dénonce "l'isolement législatif" de la France, qui "pénalise directement ses producteurs".#DirectAN pic.twitter.com/aZfWyslfA9
— LCP (@LCP) May 26, 2025
Car oui, derrière cette guerre contre les pesticides se cache une promesse : celle d’une agriculture totalement biologique et autosuffisante. Dans le principe, personne ne peut évidemment être contre. Mais dans la réalité, et surtout dans un monde mondialisé, cette ambition fait figure de mirage. « Les producteurs concurrents de la France se frottent les mains ! » insiste Géraldine Woessner. Et les consommateurs, eux, risquent de payer plus cher pour les aliments français, ou — prochainement — pour ceux venus de plus loin, cultivés selon des normes qu’ils n’ont pas choisies.
Le sort de l’article 2 de la loi Duplomb, sur lequel doit statuer la commission mixte paritaire le 30 juin, décidera de la trajectoire que la France souhaite emprunter : celle du débat rationnel ou celle de l’interdiction dogmatique. « Dans dix ans, les politiques auront changé. Les paysans, eux, seront toujours là, s’ils n’ont pas disparu », avertit Françoise Roch. C’est tout l’enjeu soulevé par François de Rugy, Laurent Lesage et leur chaîne YouTube dans cette émission qui touche directement à la souveraineté alimentaire de la France : remettre la raison au centre du débat démocratique.