La colère gronde. Silencieuse d’abord, elle s’est changée en rugissement numérique. En un temps record, la pétition contre la très contestée loi Duplomb vient de franchir la barre du million de signatures sur la plateforme officielle de l’Assemblée nationale. Une mobilisation fulgurante qui oblige les députés à se pencher — au moins symboliquement — sur un texte déjà voté, mais qui suscite un rejet massif et documenté.
Loi Duplomb : la pétition dépasse le million de signataires, et maintenant ?

La loi Duplomb : un retour en arrière assumé
Adoptée le 8 juillet 2025 après une procédure accélérée initiée en janvier 2025, la loi Duplomb — du nom de son rapporteur, le sénateur Laurent Duplomb — entend « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Derrière cette formulation bienveillante se cache un recul normatif majeur : le texte autorise la réintroduction d’un insecticide auparavant interdit, facilite la dérogation à des normes sanitaires et limite l’application du principe de précaution en matière environnementale. Un cocktail explosif pour les experts de santé publique, les agronomes et les écologistes.
« Cette loi est une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire », écrit Éléonore Pattery, l’initiatrice de la pétition qui a embrasé le débat national. Âgée de 23 ans, étudiante en Master QSE et RSE, elle dénonce un texte qui « représente une attaque frontale contre la santé publique, la biodiversité, la cohérence des politiques climatiques, la sécurité alimentaire, et le bon sens ». Le ton est tranchant, l’argumentaire rigoureux, les sources multiples.
Une pétition documentée et implacable
Publiée le 10 juillet 2025 sous le titre « Non à la Loi Duplomb — Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective », la pétition reprend point par point les violations présumées du droit français et du droit international de l’environnement.
Elle s’appuie notamment sur :
- l’article L110-1 du Code de l’environnement, qui impose le respect du « principe de solidarité écologique » ;
- la Charte de l’environnement de 2005, adossée à la Constitution, affirmant que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » ;
- le principe de précaution, consacré par la Déclaration de Rio.
Le texte d'Éléonore Pattery fait également référence aux travaux du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), de Santé Publique France, de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), de l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et du rapport Brundtland. En somme, un arsenal argumentaire étayé qui a su capter l’attention d’une population écœurée.
Franchir le million : seuil symbolique, conséquences incertaines
Le 20 juillet 2025 à 18 heures, le compteur a dépassé le million de soutiens. Ce chiffre fait de cette pétition la première à franchir un tel cap depuis la mise en place du dispositif participatif numérique de l’Assemblée nationale. Ce seuil, fixé par le règlement interne de l’institution, déclenche automatiquement l’organisation d’un débat parlementaire. Mais ne garantit rien d’autre.
La présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, a déclaré à Mediapart qu’elle était « favorable à l’organisation d’un débat parlementaire sur le bien-fondé de cette loi », tout en précisant qu’il n’interviendrait « qu’à la rentrée ». Aucun engagement n’a été pris pour suspendre le texte ou pour réexaminer ses dispositions. En d’autres termes : les dés sont jetés, mais l’Assemblée refuse pour l’instant de les relancer.
Un texte contesté sur le fond comme sur la forme
Outre le fond du texte, la pétition questionne les conditions de son adoption. Votée en plein été, sous procédure accélérée, avec un débat écourté, la loi Duplomb cristallise aussi un malaise démocratique. « La révision démocratique des conditions dans lesquelles elle a été adoptée » est l’un des trois points demandés par Éléonore Pattery, aux côtés de son abrogation immédiate et de la consultation citoyenne des acteurs concernés. Les signataires ne sont pas des extrémistes verts isolés. Ils proviennent de tous les secteurs : professionnels de santé, agriculteurs bio, enseignants, citoyens ordinaires. En trois jours, ce sont un million de personnes qui ont signé — sans relais médiatique massif à l’origine.
Une mobilisation inédite, un pouvoir politique figé
Face à ce raz-de-marée citoyen, le gouvernement reste de marbre. Aucun membre de l’exécutif n’a commenté publiquement l’ampleur de la contestation. Et pour cause : reconnaître la légitimité de la pétition reviendrait à fragiliser une loi qu’ils ont soutenue, parfois à contretemps de leur propre discours écologique. Car, oui, cette loi a été portée au nom de la compétitivité agricole, alors même que ses effets pourraient aggraver les déséquilibres environnementaux.
La pétition pose une question de fond : quel crédit accorder à une démocratie qui valide une loi en catimini, puis refuse d’en débattre publiquement quand un million de citoyens le réclament ? Si la mobilisation ne fléchit pas, c’est peut-être cette question — plus encore que la loi elle-même — qui pourrait rattraper les décideurs.