Loin des slogans de prévention et des étiquettes légales, une réalité glaçante persiste en France : l’alcool reste d’une accessibilité déroutante pour les mineurs. Et les contrôles ? Trop rares pour faire trembler la grande distribution.
Alcool : presque tous les supermarchés français en vendent aux mineurs malgré la loi

Le 3 juillet 2025, l’association Addictions France a publié un rapport alarmant sur l’accès à l’alcool par les mineurs. Malgré les interdictions inscrites dans le Code de la santé publique, les pratiques des grandes surfaces révèlent une faille systémique. Cette enquête menée au printemps 2025 à Nantes, Rennes et Angers met en lumière un laxisme institutionnalisé dans la vente d’alcool à des adolescents, pourtant en pleine vulnérabilité cognitive et sociale.
Vente d’alcool aux mineurs : une interdiction légale que personne ne respecte
En France, la loi est sans ambiguïté : selon l’article L.3342-1 du Code de la santé publique, vendre de l’alcool à un mineur est formellement prohibé. Le vendeur est tenu d’exiger une pièce d’identité. Mais sur le terrain, les faits racontent une tout autre histoire.
Entre avril et mai 2025, l’association Addictions France a réalisé 90 achats-tests dans des enseignes comme Carrefour, Leclerc, Lidl ou encore Système U. Résultat : 86 % des supermarchés ont accepté de vendre de l’alcool à des jeunes ostensiblement mineurs. Pire encore : seuls 8 % des établissements ont pris la peine de demander un justificatif d’âge. « Le niveau de non-respect est tout simplement scandaleux », dénonce le rapport. Ce chiffre reste alarmant malgré une légère baisse par rapport à 2021, où le taux d’infraction culminait à 93 %. Les enseignes, elles, se retranchent derrière des formations internes, mais dans les rayons, l’inaction prévaut.
L’alcool est une drogue et les mineurs peuvent en acheter librement
L’alcool est une drogue, classée parmi les substances psychoactives les plus nocives selon les travaux du Pr David Nutt. En 2007 et 2010, cet expert britannique classait l’alcool en tête des drogues les plus dangereuses, devant l’héroïne et la cocaïne, si l’on combine les effets sur l’individu et la société.
En France, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) souligne que l’alcool est la substance la plus consommée par les jeunes. Selon l’enquête EnCLASS (EHESP, OFDT, 2022), 27 % des élèves de 6e ont déjà bu de l’alcool, un chiffre qui monte à près de 75 % chez les élèves de terminale. Le Dr Nicolas Prisse, président de la MILDECA, tire la sonnette d’alarme : « La maturation cérébrale qui se poursuit jusqu'à environ 25 ans rend les jeunes particulièrement sensibles aux effets neurotoxiques de l’alcool. »
À court terme, la consommation excessive – le « binge drinking » – multiplie les risques d’agression, d’accidents et d’hospitalisations. Santé publique France recense chaque semaine une centaine de passages aux urgences pour intoxication éthylique chez des mineurs.
Vente d’alcool aux mineurs : l’impunité est quasiment totale
Les chiffres livrés par Addictions France soulignent un dysfonctionnement structurel. À ce jour, seuls 37 signalements ont donné lieu à des procédures judiciaires. Les premières audiences ne commenceront que le 9 décembre 2025. L’association déplore « un système de sanctions déconnecté de la gravité des faits ».
La France accuse un retard flagrant par rapport à ses voisins. En Suisse, par exemple, le taux de vérification de l’âge atteint 65 % grâce à une politique de contrôles réguliers et ciblés.
Face à ce constat, Addictions France réclame des sanctions dissuasives :
- amendes proportionnelles au chiffre d’affaires du commerce,
- suspension ou retrait des licences,
- renforcement immédiat des contrôles, en lien avec les forces de l’ordre.
Dans un communiqué daté du 20 décembre 2024, la MILDECA annonçait un protocole national pour intensifier les contrôles. Mais sur le terrain, la mise en œuvre tarde.
Un échec collectif face à une jeunesse en danger
La tolérance implicite envers la vente d’alcool aux mineurs constitue une faillite collective. Les distributeurs, les autorités, mais aussi la société dans son ensemble, minimisent encore trop souvent les risques. Pourtant, l’addiction s’installe vite, parfois dès les premières consommations. Les campagnes de prévention ont peu d’effet si l’alcool reste en accès libre au coin de chaque rayon. La majorité des jeunes interrogés par l’OFDT admettent n’avoir jamais eu à prouver leur âge pour acheter une bouteille.
L’alerte lancée par Addictions France ne laisse plus de place au doute. Les supermarchés enfreignent massivement la loi, les jeunes paient le prix fort, et l’État regarde ailleurs. À l’heure où la France se dote de plans de lutte contre les addictions, le dossier de l’alcool vendu aux mineurs reste un angle mort.