Dans un contexte de guerre commerciale mondiale, où les États-Unis imposent des droits de douane de 145 % sur les produits chinois et où la Chine réplique avec des taxes de 125 % sur les biens américains, la France se trouve confrontée à des choix stratégiques complexes.
Textile : le bras de fer risqué de la France avec la Chine

L’Union européenne (UE), prise en étau, craint un afflux de produits chinois redirigés vers son marché. Face à cela, la France a proposé une taxe sur les vêtements issus de la fast fashion, ciblant des géants comme Shein et Temu. Mais cette initiative unilatérale soulève des doutes sur son efficacité et révèle les failles d’une approche nationale déconnectée d’une stratégie globale.
La taxe textile française, visant à freiner l’impact environnemental et économique de la fast fashion, adoptée par le Sénat le 10 juin, risque d’être un coup d’épée dans l’eau. Les entreprises chinoises pourraient aisément contourner cette mesure en installant des entrepôts dans des pays voisins, comme la Belgique ou les Pays-Bas, pour éviter les surtaxes. La Fédération française du prêt-à-porter féminin qualifie cette taxe de « flan », pointant son manque de coordination avec les politiques douanières européennes. De plus, une telle mesure pourrait affaiblir la position de la France dans les négociations commerciales face à la Chine, qui représente 12,6 % de la valeur ajoutée des biens manufacturés dans l’ASEAN. En agissant seule, la France envoie un signal brouillé, réduisant son influence dans un jeu où les rapports de force se jouent à l’échelle des blocs.
L’industrie textile française, centrée sur le haut de gamme et le luxe, n’a rien à gagner dans une confrontation directe avec la Chine sur le terrain de la fast fashion. La production de vêtements à bas coût a quitté la France depuis des décennies, rendant illusoire toute ambition de relocalisation. En revanche, taxer les produits chinois, comme le propose la loi française avec un malus pouvant atteindre 10 euros par vêtement, expose des secteurs clés à des représailles. La Chine, qui a imposé des taxes de 30 à 39 % sur le cognac et les produits laitiers français en réponse aux mesures européennes sur les véhicules électriques, pourrait notamment répliquer en ciblant le luxe, un pilier économique français. En 2023, la Chine absorbait une part significative des exportations de luxe de la France, et des barrières accrues sur ce marché pourraient coûter cher à des groupes comme LVMH ou Kering.
Le calcul économique de la taxe textile est également discutable. Avec 91 % des colis de moins de 150 euros en Europe provenant de Chine, et Shein produisant un million de vêtements par jour, une taxe nationale risque simplement de détourner ces flux vers d’autres pays européens, au détriment des distributeurs français comme La Poste, qui traite un quart de ces colis. L’inflation potentielle causée par cette taxe, sans bénéfices clairs pour l’industrie locale, ajoute au scepticisme.
L’UE, consciente des enjeux, explore une taxe de deux euros sur chaque petit colis entrant sur son territoire, visant à harmoniser les efforts face à la concurrence chinoise. Mais cette mesure, bien que plus cohérente qu’une initiative nationale, reste modeste et incertaine dans ses effets. Les géants de la fast fashion, avec leurs chaînes logistiques ultra-optimisées, pourraient absorber ces coûts ou les répercuter sur les consommateurs, sans bouleverser leur modèle économique. De plus, les tensions internes à l’UE, où les intérêts des États membres divergent, compliquent l’élaboration d’une stratégie commune. Par exemple, l’Allemagne, dépendante des exportations vers la Chine, hésite à durcir le ton, tandis que la France pousse pour des mesures plus fermes.
Les déclarations d’Ursula von der Leyen, appelant à une résolution négociée avec Pékin, reflètent une volonté de pragmatisme, mais les résultats restent incertains. Les négociations commerciales, comme celles sur le Partenariat économique régional global (RCEP), montrent que l’UE peut peser, mais sa capacité à parler d’une seule voix est mise à l’épreuve par des initiatives nationales comme celle de la France. Les récentes tensions autour des véhicules électriques, où la Chine a menacé de représailles ciblées, rappellent que Pékin sait parfaitement exploiter les divisions européennes.
La France, en poursuivant une taxe textile isolée, risque de se tirer une balle dans le pied, exposant ses secteurs stratégiques à des représailles chinoises sans relancer son industrie. L’approche européenne, bien que plus structurée, peine à s’imposer face à la complexité des chaînes de valeur globales et aux divergences internes. Dans un monde où la Chine domine les chaînes d’approvisionnement et où les États-Unis accentuent la pression protectionniste, la France doit donc apprendre naviguer avec prudence, sans illusions sur l’efficacité des mesures nationales ou sur la solidité des réponses européennes.