Le soleil méditerranéen, les plages de carte postale… mais aussi les coffres-forts bien remplis. Longtemps, Malte a fait miroiter bien plus que son décor de rêve. Aujourd’hui, c’est une page de son histoire financière et diplomatique qui se tourne dans un fracas judiciaire venu de Luxembourg.
Passeports dorés pour Malte : la justice européenne enterre le système maltais

Un passeport doré qui coûtait très cher à l’intégrité de l’Union européenne
Le système de Malte de passeport doré reposait sur une mécanique simplissime : un non-Européen versait entre 600 000 et 750 000 euros directement à l’État maltais, y ajoutait un achat immobilier à 700 000 euros ou sa location, ainsi qu’un don dit « philanthropique » de 10 000 euros. En échange ? Une citoyenneté express après une « résidence légale » de douze à trente-six mois, selon le montant investi. Le tout sans obligation de vivre à Malte ou d’avoir un lien familial ou culturel avec l’île.
Ce programme avait été mis en place en 2013 par l’ancien Premier ministre Joseph Muscat, contraint à la démission en 2019 à la suite de multiples scandales. Depuis son lancement, il aurait permis à 6 000 à 7 000 personnes, y compris leurs familles, d’obtenir un passeport maltais. La Commission européenne dénonçait de longue date ce programme comme une atteinte directe à l’essence de la citoyenneté de l’Union. La Cour a tranché sans ambiguïté : « Un tel programme s’apparente à une commercialisation de l’octroi du statut de ressortissant d’un État membre et, par extension, de celle du statut de citoyen de l’Union, incompatible avec la conception de ce statut fondamental ».
Des oligarques russes en première ligne : le cocktail géopolitique explosif des passeports dorés
À l’origine, ces passeports visaient officiellement à attirer des investissements étrangers. Mais en réalité, le dispositif a surtout bénéficié à une clientèle bien spécifique : les élites russes et biélorusses. Ces papiers permettaient à leurs détenteurs de circuler dans l'espace Schengen et d'accéder au système bancaire européen. Mais le plus grave, c'est qu'ils les mettaient à l'abri d'éventuelles sanctions de l'Union européenne. Un sujet devenu particulièrement prégnant depuis le début de la guerre entre l'Ukraine et la Russie.
Le gouvernement maltais a suspendu l’accès au programme pour les ressortissants russes et biélorusses seulement en mars 2022, soit un mois après l’invasion de l’Ukraine. Autant dire trop tard. Cette passivité, couplée aux révélations des « Passport Papers » (fuites documentaires exploitées par la fondation Daphne-Caruana-Galizia), a précipité la condamnation européenne.
La Commission, de son côté, n’a jamais caché sa ligne de principe. Markus Lammert, porte-parole de l’institution, déclarait : « La position de la Commission sur les systèmes de citoyens investisseurs a été très claire dès le départ : la citoyenneté européenne n’est pas à vendre ».
Un système rentable pour Malte, désastreux pour la cohésion européenne
Sur le papier, l’opération était fiscalement miraculeuse. Grâce à ce programme, Malte a engrangé plus de 1,4 milliard d’euros en à peine dix ans. Cet argent a permis de créer un fonds national d’investissement utilisé pour financer divers projets publics. Le gouvernement maltais ne s’en cache pas, se disant « fier de la richesse générée » par ce système.
Mais cette manne n’a pas suffi à convaincre les juges de Luxembourg. Pour la CJUE, l’octroi de la citoyenneté ne peut être réduit à une logique contractuelle ou budgétaire. En décidant de la vendre à prix fixe, Malte a trahi l’esprit des traités. Comme le rappelle Le Figaro, la Cour a affirmé que ce mécanisme violait « le droit de l’Union » et qu’il était « incompatible avec la nature du statut de citoyen européen ».
Et maintenant ? l’ombre d’une jurisprudence européenne définitive
Le programme maltais était le dernier en vigueur dans l’Union européenne. Chypre l’a abandonné en 2020, la Bulgarie en 2022. Les régimes de visas dorés (autorisations de résidence contre investissements) subsistent ici ou là, mais eux aussi sont de plus en plus ciblés par Bruxelles. Le Portugal et les Pays-Bas ont déjà reculé. L’Espagne s’est engagée à supprimer la voie immobilière de son programme.
Et les passeports déjà accordés ? Pour l’instant, la CJUE n’impose pas leur retrait. Mais la porte est ouverte à des contestations individuelles dans certains États membres. Un véritable casse-tête juridique, que la Commission européenne dit « en cours d’analyse ».
La justice européenne, en tranchant, n’a pas seulement mis fin à un programme économique douteux. Elle a envoyé un message clair : la citoyenneté de l’Union n’est pas une marchandise. Et si certains États membres tardent à le comprendre, la CJUE, elle, a choisi de s’en souvenir.