La promesse de Google de tourner définitivement la page des cookies tiers n’aura été qu’une illusion bien marketée. Derrière l’argument de la vie privée, c’est un bras de fer souterrain entre innovation, rentabilité et régulation qui se joue. Et Chrome vient de trancher.
Vie privée sacrifiée ? Google garde les cookies tiers dans Chrome

Le 22 avril 2025, Google a officiellement mis fin à son projet de suppression des cookies tiers dans son navigateur Chrome. Ce revirement, largement commenté par les acteurs du numérique, marque un tournant décisif dans la gestion de la vie privée en ligne. En dépit d’années de communication sur sa volonté de rendre le web plus respectueux des données personnelles, le géant californien choisit de maintenir un statu quo qui interroge autant qu’il inquiète.
Cookies et publicité : retour à la case départ pour Google
Initialement, Google ambitionnait de supprimer les cookies tiers – ces petits fichiers qui permettent aux sites et aux annonceurs de suivre les internautes d’un site à l’autre. L’idée n’était pas neuve : Safari (Apple) et Firefox (Mozilla) avaient déjà pris les devants en limitant fortement ces dispositifs de traçage.
En 2020, Google lançait son projet Privacy Sandbox, censé offrir une alternative compatible avec le ciblage publicitaire mais plus respectueuse des données personnelles. Entre FLoC (Federated Learning of Cohorts), Topics API et autres acronymes techno-juridiques, le géant tentait de ménager la chèvre de la vie privée et le chou des revenus publicitaires.
Mais cinq ans plus tard, la montagne accouche d’une souris. « Nous avons décidé de maintenir notre approche actuelle concernant le choix laissé aux utilisateurs pour les cookies tiers dans Chrome », a déclaré Anthony Chavez, vice-président de Privacy Sandbox, dans une mise à jour publiée sur le site officiel du projet.
L’impossible réforme d’un modèle économique bâti sur les cookies
Pourquoi Google a-t-il abandonné ? Parce que l’équation était insoluble.
D’un côté, des autorités de régulation de plus en plus offensives. La Competition and Markets Authority (CMA) au Royaume-Uni enquête depuis 2020 sur l’impact anticoncurrentiel du Privacy Sandbox. Aux États-Unis, un juge fédéral a estimé que Google « s’est engagé sciemment dans une série d’actes anticoncurrentiels dans le secteur des technologies publicitaires », rappelle The Verge.
De l’autre, des régies publicitaires inquiètes de perdre un outil central de monétisation. Pour nombre d’éditeurs, la disparition des cookies tiers aurait signé l’asphyxie économique. Et entre les deux, Google, acteur tentaculaire à la fois éditeur du navigateur, fournisseur de publicités, et propriétaire d’une immense plateforme d’analytique. Comment prétendre instaurer des règles sans être jugé et partie ? L’échec du Privacy Sandbox consacre cette impasse.
Cookies maintenus : victoire ou défaite ?
Il y a ceux qui y voient un recul, voire une trahison des promesses. James Rosewell, fondateur du collectif Movement for an Open Web, ne mâche pas ses mots : « L’objectif de Google était de supprimer les standards ouverts de communication pour concentrer le trafic publicitaire numérique sous son seul contrôle. Cet objectif est désormais caduc. »
D’autres y décèlent un calcul froid. En ne supprimant pas les cookies tiers, Google garde les mains libres tout en continuant à proposer, en façade, des outils de contrôle à l’utilisateur. En vérité, c’est à l’utilisateur lui-même de se débrouiller avec les paramètres de Chrome s’il veut limiter la collecte : il est toujours possible de désactiver les cookies tiers, mais cela demande une action manuelle.