210 jours en CRA : les étrangers jugés dangereux pourront être détenus plus longtemps

210 jours derrière les murs des CRA. La loi vient de changer, mais sur le terrain, l’expulsion reste l’exception. Ce texte ambitieux porté par Bruno Retailleau repose sur un dilemme : la fermeté affichée peut-elle compenser l’inefficacité persistante ?

Ade Costume Droit
By Adélaïde Motte Published on 10 juillet 2025 10h00
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210 jours en CRA : les étrangers jugés dangereux pourront être détenus plus longtemps - © Economie Matin
210la durée maximale de rétention administrative pour les étrangers en instance d’expulsion jugés dangereux pourra désormais atteindre 210 jours

Le 9 juillet 2025, le Parlement français a adopté un texte marquant un tournant dans la gestion de la rétention administrative des étrangers. Désormais, la durée maximale de placement en centre de rétention (CRA) pour les individus jugés dangereux s’étendra jusqu’à 210 jours au lieu de 90. Cette mesure, soutenue par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, s’inscrit dans un contexte tendu où la gestion des étrangers pose à la fois des enjeux sécuritaires et budgétaires majeurs.

Rétention des étrangers dangereux : un allongement inédit à 210 jours

Le cœur du dispositif repose sur une mesure simple mais inédite : tripler la durée maximale de rétention administrative en CRA pour les étrangers en instance d’expulsion jugés dangereux. Jusqu’à présent limitée à 90 jours, cette période pourra désormais atteindre 210 jours, soit sept mois. Le texte a été adopté à une large majorité au Sénat (228 voix contre 108) et à l’Assemblée nationale (303 contre 168), avec l’appui de la droite et du centre, du Rassemblement National à Renaissance.

Désormais, les individus dont « le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public » ou qui sont condamnés pour des infractions lourdes — meurtre, viol, trafic de stupéfiants — pourront être maintenus en CRA bien au-delà de l'ancienne durée. Les personnes frappées d’interdiction du territoire français (ITF) sont également concernées. Jusqu’ici, seuls les condamnés pour terrorisme pouvaient atteindre ce plafond de 210 jours

Un coût vertigineux pour une efficacité contestée

Si la réforme vise à renforcer la sécurité, elle ne masque pas les limites du système. Le coût de cette mesure est colossal : 210 jours de rétention à raison de 700 euros par jour et par individu, pour 49 000 étrangers placés en CRA chaque année, représente un montant total de près de 8 milliards d’euros annuels. À cela s’ajoutent 686 millions d’euros consacrés aux procédures d’expulsion, comprenant les frais juridiques, les escortes et les documents administratifs.

Et malgré cet arsenal administratif, l’efficacité reste incertaine. Selon le Projet de loi de finances 2024, 57 % des retours forcés décidés après une rétention ne sont jamais exécutés. L’Observatoire de l’immigration souligne par ailleurs que « 90 % des étrangers retenus en CRA sont connus pour des troubles à l’ordre public ou des condamnations pénales », mais que nombre d’entre eux finissent libérés faute de solution diplomatique.

Expulser reste l’enjeu central : le blocage des laissez-passer consulaires

Pour Bruno Retailleau, le véritable défi réside moins dans l’allongement de la détention que dans l’exécution effective des expulsions. Au cœur du problème : l’obtention des laissez-passer consulaires, ces documents indispensables pour renvoyer les étrangers vers leur pays d’origine. Or, les discussions avec les pays tiers sont aujourd’hui à l’arrêt, faute d’accords bilatéraux contraignants ou de leviers de pression efficaces, ou plutôt de la volonté politique nécessaire pour les actionner.

Sans ces documents, l’État se retrouve impuissant, même face à des individus reconnus coupables d’actes graves. Le cas tragique de Philippine Le Noir de Carlan l’illustre cruellement : cette étudiante de 19 ans a été tuée le 21 septembre 2024 par un ressortissant marocain déjà condamné pour viol, sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français. Il avait été libéré après 45 jours de rétention en CRA faute de laissez-passer.

Une loi controversée, portée par un traumatisme collectif

C’est cet événement qui a déclenché l’initiative législative. Devant le Parlement, Bruno Retailleau a déclaré : « Ce texte est surtout le produit d’un drame, la mort tragique de la jeune Philippine ». Il y voit « une loi qui peut sauver des vies », tandis que les parents de la victime ont salué dans un communiqué une mesure « nécessaire pour assurer la sécurité de tous et partout ».

Mais la gauche s’insurge. Christophe Chaillou (PS) accuse Retailleau de « surfer sur des faits divers pour alimenter une machine populiste dans une course mortifère avec l’extrême droite ». Certains sympathisants insoumis estiment même que le CRA est un « camp de concentration ».

Comparaison européenne et marges de manœuvre futures

À l’échelle de l’Union européenne, la nouvelle législation française reste dans les limites du droit communautaire : la directive Retour autorise en effet une rétention en CRA jusqu’à 24 mois, soit bien plus que les 210 jours prévus. Mais l’allongement n’est pas une panacée. Les précédentes réformes — en 2018 notamment, quand la durée est passée de 45 à 90 jours — n’ont pas amélioré significativement les taux d’éloignement.

Le texte voté contient d’autres dispositions, comme la rétention possible de certains demandeurs d’asile menaçant l’ordre public et le relevé contraint d’empreintes digitales pour accélérer les démarches. Des outils supplémentaires, certes, mais toujours limités par l’inaction diplomatique.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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